11/03/20, 19:47. Camden Town.

La nuit était pluvieuse, ce soir là, sur la capitale Londonienne. Une pluie fine mais constante tombait sur les pavés, assombrissant les cieux et trempant les gens comme Chris, qui se déplaçaient à pied à travers la ville sans parapluie. La nuit était déjà tombée une poignée d'heures lorsque Chris s'immobilisa à l'autre bout de la rue, fixant la vitrine d'une boutique qu'il avait déjà remarqué depuis plusieurs mois. Un tatoueur perceur, une boutique nommée "l'aiguille magique". Ce qui l'intéressait venait du fait qu'ils employaient un jeune chez eux. Très jeune. Il ne connaissait pas son âge exact, mais, le brun était probablement plus âgé que lui. Toutefois, il avait pu s'assurer lorsqu'il l'avait vu de dos à travers la vitrine que ce gosse ne travaillait pas pour Black Thorn...

Une idée avait germé depuis quelques temps dans l'esprit du Corbeau. Depuis longtemps, en fait, mais... Il n'avait simplement jamais trouvé l'occasion de la mettre à exécution. Le problème venait désormais du fait qu'ils étaient deux à travailler dans cette boutique. L'autre devait sans nul doute être le boss. Il avait le profil. Mais l'assassin n'était pas prêt à prendre le risque d'exposer sa marque à deux personnes en même temps. L'exposer à une seule était déjà dangereux en soi. En fait, il n'était pas certain de pouvoir laisser ce gosse en vie une fois qu'il aurait accompli sa tâche. Aussi... Si un soir, son boss le laissait fermer la boutique seul comme il l'espérait, le brun lui ferait faire un "petit boulot" en dehors des horaires habituels en s'assurant que personne ne puisse déterminer qu'il était ici, à ce moment là. De cette façon, il serait libre de faire ce qu'il voudrait de lui s'il sentait qu'il ne pouvait pas demeurer vivant après cela...

Le Corbeau agissait toujours avec pragmatisme. Ce n'était pas toujours simple, et parfois il se dégoûtait. Mais ce n'était pas sa faute. Il n'avait pas demandé à ce que tout cela arrive. Il n'avait pas demandé à ce que Black Thorn le fabrique. Il n'avait pas non plus voulu qu'ils le trahissent, et cherchent à l'éliminer. Parfois, il faut faire ce qui doit être fait, et se salir les mains...

Avec ce projet en tête, Chris passait régulièrement devant la boutique le soir, environ une fois toutes les deux ou trois semaines, avec l'espoir que le jeune employé ferait la fermeture, seul. Pas récemment, cependant. Pas après l'ouragan. Avec son bras cassé et ses nombreuses blessures, le brun s'était beaucoup reposé. Mais depuis fin février, il recommençait à guetter la boutique avec ce secret espoir.
Jusqu'ici, il n'avait pas eu de chance. Il n'était jamais tombé un soir où le jeune employé faisait la fermeture. Mais peut être que ce soir, ce serait différent ?

11/03/20, 19:47. Camden Town.

La pluie se renforça soudainement tandis que Chris guettait toujours avec la même patience l'Aiguille magique. De toute façon, dans moins de dix minutes, il serait fixé. Si le boss ne quittait pas les lieux seul d'ici là, ce serait encore un soir sans...
Il se serait bien allumé une clope pour patienter, mais avec cette pluie, il préféra éviter. Soupirant, le visage dégoulinant d'eau, il commençait à perdre espoir lorsque soudain, le grelot de la boutique se fit entendre, et le patron quitta les lieux. Seul !
Il l'observa quelques instants: il n'allait pas sortir les poubelles. De toute évidence, il rentrait chez lui ! L'occasion que le Corbeau attendait depuis si longtemps se manifestait enfin !

Il n'aimait pas franchement ce qu'il s'apprêtait à faire. Mais il avait la sensation que c'était une étape nécessaire pour se détacher définitivement de son ancienne vie. Un peu comme s'il... effaçait son passé. Ou du moins, s'il essayait... Certaines choses ne peuvent pas être effacées, et ne disparaissent pas aussi facilement. Il en savait quelque chose...

Sans hésiter, il traversa la rue et s'avança jusqu'à la boutique. Il ouvrit la porte et la clochette annonça son arrivée. Il s'avança dans la boutique et referma la porte après avoir constaté avec satisfaction qu'elle était effectivement vide, à l'exception du jeune tatoueur qui l'intéressait. Il se passa rapidement la main dans les cheveux pour chasser l'eau de pluie, avant de s'avancer de quelques pas vers Akemi. Il l'observa étrangement, puis:
- Bonsoir ! Je suis désolé, je sais que la boutique est fermée, mais... J'ai besoin de ton aide. Tu vas devoir faire quelques heures supplémentaires... Annonça -t-il simplement. Mais d'abord, on va fermer la boutique, et baisser les volets. Je préfère qu'on soit seuls pendant que tu me tortures avec une aiguille si ça ne te gêne pas trop.

Alors que Chris s'adressait au jeune employé des lieux, il nota qu'il l'observait avec un drôle de regard. Le genre de regard qu'on lance à quelqu'un qu'on pourrait avoir envie de serrer... Le Corbeau ne s'en formalisa pas, bien qu'il n'ait aucune chance qu'une telle chose arrive un jour, mais conserva cette information dans un coin de sa tête. Elle pourrait peut être lui servir, sait on jamais ?
Fort de ces nouvelles données, le brun exécuta une approche moins agressive que prévue au départ. Sa voix se fit plus traînante, un peu ambigüe... Pas le genre de voix qu'il aurait utilisée d'ordinaire. Même les mots utilisés étaient ambigüs, en soi. Mais lorsque le gosse lui répondit qu'il n'était pas tatoueur, dans la tête de Chris, ce fut comme si une vitre se brisait: il n'était pas tatoueur ! Merde !
L'assassin avait commis là une grave erreur: il était parti du principe que les deux employés perçaient et tatouaient, sans se poser la question de savoir s'ils étaient spécialisés dans un domaine ou dans l'autre. Et à présent, il était face à lui, avec sa marque, sa malédiction, et il n'était pas certain d'être très chaud pour se laisser faire en tant que cobaye...

Il hésita quelques instant, en fixant Akemi d'un regard circonspect:
- Tu... n'es pas tatoueur... conclut il doucement d'un ton plus bas. Alors...
Il se passa la main derrière sa nuque, avant d'ajouter:
- Tu ne pourrais pas me retirer un tatouage derrière la nuque, je suppose ?
Le brun retrouva bien vite sa contenance, avant d'expliquer un peu plus en détails pourquoi il était là:
- Je ne suis pas ici pour un piercing... Je suis là pour effacer un tatouage, et pour rien d'autre. Et si tu ne peux pas m'aider... Alors je t'ai dérangé pour rien... Conclut finalement Chris en observant le perceur.

Il mentionna le tatouage, mais ne le montra pas pour autant. Il ne le dévoilerait que si son interlocuteur affirmait pouvoir faire quelque chose pour lui, et pour rien d'autre. Il détestait faire voir cette horreur, cette infamie le reliant à son passé, à ce qu'il était réellement. Et il détestait également tourner le dos aux gens, à plus forte raison s'il ne les connaissait pas. Il ne s'y résoudrait que pour effacer cette abomination, et c'est tout !

Chris hésita un instant, puis se tourna et souleva ses cheveux pour dévoiler finalement sa nuque, et son tatouage en forme de code barre, dissimulé derrière eux. Dans l'absolu, personne n'avait jamais vu ce code barre, en dehors de ceux qui l'avaient crée, naturellement.
- Je ne crois pas que ce soit une question de difficulté, non. Mais je ne sais pas, à dire vrai.
Il attendit quelques instants que le jeune homme observe le tatouage, puis se tourna à nouveau vers lui:
- Alors ? Ca donne quoi ?

Le brun plissa de plus en plus les yeux tandis que le jeune perceur lui expliquait l'alternative. Elle ne le convainquait pas du tout. Des rejets ? Microdermal ? Non, tout ça ne lui convenait pas du tout. On parlait d'un tatouage situé derrière sa nuque capable de représenter son identité, du point de vue de l'organisation. Mieux valait ne pas jouer aux apprentis sorciers. Il le rejoignit sur la terrasse et s'alluma à son tour une cigarette avec son zippo en argent porte bonheur.
- Non, connais pas, répondit il simplement.
Akemi lui expliqua le concept, qui semblait de toute évidence casse gueule, du moins à son goût. Mettre un bijou sous la peau, chirurgical ou non, était un risque de ne plus pouvoir passer certains systèmes de sécurité. Il ne pouvait pas prendre un tel risque avec la vie qu'il menait.
- Non, ça ne me va pas. Il me faut une solution plus classique. Je veux simplement effacer ce tatouage, pas me transformer en mine de fer mobile, ajouta -t-il avec cynisme.

Il tira sur sa cigarette, puis reprit:
- Si tu ne peux pas l'effacer comme le ferait ton patron, on va probablement en rester là.
Un peu déçu, Chris soupira, et s'éloigna en rangeant son briquet.
- A plus, perceur ! Et tâche d'oublier qu'on s'est rencontrés ! Ajouta -t-il en levant le bras, dos tourné au blond.
C'est alors qu'un petit objet tomba de sa poche intérieure, juste sous le nez d'Akemi: c'était une carte d'étudiant. Une carte d'étudiant de l'université d'Indarë. De toute évidence, qui qu'il soit, son mystérieux client était élève là bas.

Pas de chance. Un coup dans l'eau.

Les mains dans les poches, le col relevé, la clope à la bouche, le Corbeau était déjà en train de repartir, perdu dans ses esprits, en train de ruminer ce nouvel échec, lorsqu'il entendît la voix du jeune perceur derrière lui. Surpris, il s'immobilisa, et se tourna vers lui, avant de poser le regard sur l'objet qu'il lui tendait. L'instant d'après, les pupilles de ses yeux s'étrécirent et ce fut comme si un miroir se brisait en lui. Comme si le temps s'arrêtait. Il ne pouvait plus le laisser partir vivant, plus après ça. Plus maintenant qu'il pouvait faire le lien entre lui et Indarë. Et merde ! Pourquoi avait il fallu que cette maudite carte tombe ?!

D'un geste hésitant, le brun récupéra sa carte à l'aide de son index et de son majeur, et la rangea dans sa poche.
- Merci... Lui dit il d'une voix étrangement neutre, presque robotique, alors que son regard s'était durci lui aussi. Attends, je te raccompagne à ta boutique, pour la peine...
Il pleuvait, le duo ne traîna pas. Chris laissa le jeune Williams entrer en premier, en profitant ainsi pour vérifier que la rue était déserte avant de faire de même. Après quoi, il le suivit.
Et très vite, à l'intérieur, l'ambiance changea. Le Corbeau avait une lueur sombre dans le regard. Une lueur qui n'annonçait rien de bon.
- Je suis désolé, perceur... Mais je ne peux pas te laisser en vie, après ça. Plus maintenant. Tu représentes trop de risques pour moi. Même si tu ne comprends pas de quelle manière et pourquoi, annonça -t-il froidement avant de dégainer son gloc.

Il le pointa sur le blond sans tresailler. Sans trembler, sans hésiter. Un professionnel. Un assassin...
- Ca n'a rien de personnel... Je n'ai pas le choix. Ils ne me laissent pas le choix... Je suis vraiment désolé...
Une première détonation amoindrie par le silencieux de son arme toucha le jeune williams à l'épaule. Après quoi, l'universitaire acheva le travail d'une balle en plein coeur. Il évita la tête afin que ça n'ait pas trop l'air d'un travail de professionnel.

Une fois qu'il serait mort, il se contenterait de voler la caisse. Un vol de caisse de tatouage ? N'importe quel flic un tant soit peu sérieux aurait de sérieux doutes... Mais le passif de Chris lui avait appris que de nombreux flics fatigués et je-m'en-foutiste avaient fortement tendance à accepter l'option facile lorsqu'ils étaient incapables d'expliquer un meurtre. Et comme tous ses précédents assassinats, ils ne seraient pas non plus capables d'expliquer celui ci...