How the notes all bend and reach above the trees [Alexei Thomson]

Alors que le silence s’était installé, le professeur prononça, l’air innocent, en faisant tournoyer son soda dans sa canette, ces paroles traîtresses. Si Lúka ne faisait pas attention, il allait prévenir la direction d’Indarë. L’élève manqua de s’étrangler avec sa boisson. Il avait envie de hurler « non, s’il-vous-plaît ». Mais il ne voulait pas attirer l’attention. Pour l’instant, tout allait bien si on pensait que ses absences et ses retards étaient uniquement dut au deuil de son frère. Il ne voulait pas qu’on soupçonne qu’il y ait plus que ça derrière. Il ne voulait pas qu’on se doute qu’il s’endormait de façon incontrôlée.
Bien sûr, il comprenait la position de Monsieur Thomson. Bien sûr, il était normal que l’enseignant signal qu’un de ses élèves soit régulièrement absent ou en retard. Mais il ne voulait pas. Il ne voulait pas que ses enseignants commencent à tous en parler. Il ne voulait pas qu’on l’interroge sur ses raisons. Il ne voulait pas qu’on découvre que le deuil de son frère n’était pas la seule chose qui l’avait amené à redoubler…

Qu’est ce qu’il racontait…

Bien sûr que le deuil de son frère était la seule chose qui l’avait amené à redoubler. Même ses retards, ses absences dus à ses endormissements, ses trous de mémoires, toutes ces étrangetés… Tout s’était déclaré depuis que c’était arrivé. Ce n’était qu’un deuil difficile à passer. Rien d’autre.

« Je fais de mon mieux Monsieur. J’essaie d’être présent autant que je le peux. Je vous le promets.

Mais son corps n’en faisait qu’à sa tête. Mais ça il ne pouvait pas le dire. Parce que s’il le disait, l’enseignait allait ASSURÉMENT le rapporter à la direction d’Indarë. Et ça, c’était hors de question.
Le professeur lui annonça ensuite qu’il devait travailler sa respiration pour la semaine suivante, pour pouvoir commencer à jouer de la trompette. Lúka hocha la tête. Il était décidé à faire des efforts. Il était décidé à remonter ses notes. Et à convaincre l’enseignant de se taire au sujet de ses absences et retards.

- Je m’exercerais tous les jours. Quand je reviendrais la semaine prochaine, je serais prêt.

Quand monsieur Thomson posa une main sur l’épaule de l’artiste en lui demandant de ne pas le décevoir, celui-ci braqua son regard dans le sien avant de répondre :

- Je n’ai pas pour habitude d’être une déception, bien au contraire. Vous pouvez compter sur moi. »

Le professeur se leva et rangea sa chaise en annonçant qu’il devait récupérer des affaires. Il allait sûrement avoir cours après. Il lui proposa de le suivre pour récupérer un CD de jazz. Lúka réfléchit un instant. La proposition était tentante mais…

« Est-ce qu’il y a du piano dedans ? S’il y a du piano, je ne pourrais l’écouter que quand je peindrais. Ceci dit, je veux bien, ça ne pourra que m’aider à m’améliorer, à me donner un aperçu.

Il esquissa un sourire :

- Merci beaucoup professeur.

Il lui emboîta le pas alors qu’il se dirigeait vers la salle où il devait récupérer le CD. Soudain, alors qu’ils marchaient dans les couloirs, l’enseignant posa une question qui figea le sang dans les veines de Lúka. Quel genre de peintures il peignait. Quel était son style. Il détourna le regard. A une époque, il en avait peut-être eu un. Dernièrement… Dernièrement il n’était plus satisfait de ce qu’il peignait. Bien sûr, ses tableaux étaient toujours parfait, irréprochable, avec une technique sublime et un visuel harmonieux. Mais il n’aimait pas l’ambiance qui s’en dégageait. Comme si, dans chaque peinture, il déversait sa douleur. Certes, ils étaient magnifiques, mais il aurait adoré réussir à changer de registre.

- Je pense… Je pense que mon univers a beaucoup changé depuis… L’incident. Je ne suis pas sûr d’apprécier ça.

Il secoua la tête avant d’ajouter :

- Mais je ne suis pas satisfait de mon ancien univers non plus. Il était trop restreint par ma vision du monde encore trop limitée. Je veux l’ouvrir, je veux l’élargir. Y intégrer de nouvelles visions. Je crois… Je crois que je veux changer mon univers.

Répondit-il en s’arrêtant devant la salle des professeurs.

Le professeur rassura Lúka en lui assurant qu’il n’y avait pas de piano dans l’album qu’il venait de lui prêter. L’élève hocha la tête en souriant. Il pourrait donc l’écouter n’importe quand, et y accorder toute son attention pour mieux en étudier la mélodie. Devant la salle des professeurs, l’enseignant expliqua soudain à l’artiste que changer d’univers n’était pas nécessairement une mauvaise chose, et que la perte d’un être cher permettait d’évoluer. L’adolescent demeura silencieux un instant. Il n’avait pas l’impression d’avoir évolué depuis qu’Armand était partit. Bien au contraire. Il avait chuté. Ses notes s’étaient écroulées. Il ne supportait plus le piano. Il avait eu un long blocage artistique. Et son corps s’était mit à manifester d’étranges symptômes. Non. Il n’avait pas évolué. Clairement pas. Quant à son changement d’univers…

« Changer d’univers n’est pas une mauvaise chose. Mais je n’aime pas l’ambiance qui hante mes peintures en ce moment. Je veux changer à nouveau.

Il attendit le professeur Thomson devant la porte pendant qu’il cherchait dans ses affaires après le CD promis. Quand il revint, c’était avec le graal en main. Il le lui tendit en lui disant qu’il pouvait le garder autant que nécessaire. Lúka le prit en souriant :

– Merci beaucoup professeur. Je serais à la hauteur de votre confiance. Je tâcherais de l’avoir étudié avant notre prochain cours.

Quand l’enseignant posa une main sur son épaule en lui disant qu’il pouvait revenir lui parler si besoin. Lúka ne répondit pas. En dehors des cours de musique- qui concernaient directement le prof de musique- Lúka refusait tout bonnement que qui que ce soit ait connaissance de ses problèmes. Que ferait Le professeur Thomson s’il apprenait que la raison des absences de son élève était qu’il s’endormait régulièrement en cours de journée ? Qu’il arrivait à ses muscles de… L’abandonner tout simplement. Non. Il ne pouvait pas se permettre que les gens soient au courant. Ca ne devait pas se savoir. Il se contenta de répondre en souriant à nouveau :

- Je garderais ça à l’esprit, encore merci, et au revoir. »

Et il partit, en comptant bien ne jamais lui parler d’autre chose que de ses problèmes liés à la musique.