How the notes all bend and reach above the trees [Alexei Thomson]

Il avait encore séché.
Non pas qu’il en ait eu l’intention. Mais Lúka s’était endormit peu avant le début de son cours. Quand il s’était réveillé, ça ne valait plus la peine de s’y rendre. Il n’aurait pas été accepté de toute façon.
Il détestait cette manie qu’avait son corps de s’endormir de la sortie, sans qu’il ne lui demande, dans les pires moments possibles. Il en avait assez de voir ses résultats scolaires pâtir des caprices de son corps. Il fallait qu’il trouve une solution pour faire remonter ses résultats scolaires. Ses efforts ne portaient pas leurs fruits, il devait trouver une autre méthode.

C’est ainsi qu’il en arriva à la décision de demander à un professeur s’il pouvait avoir des cours de soutien. Comme ses résultats en cours de musique étaient désastreux, il opta pour cette matière… Malgré ce que cela impliquait.
Depuis la mort d’Armand- son jumeau pianiste- Lúka avait du mal avec la musique. Les cours de musique lui rappelaient, plus que les autres, l’absence de son frère. Il avait tendance à bloquer complètement sur la matière. Passant les cours l’esprit ailleurs, comme pour les fuir. Le pire restait le son du piano, qu’il ne supportait plus du tout quand il ne peignait pas.

C’est ainsi que le jeune artiste se retrouva devant la salle de musique, décidé à demander au professeur pour des cours de soutien. Il espérait qu’il accepterait. Qu’il ne l’avait pas catalogué mauvais élève à cause de ses résultats, de ses retards, de ses absences. Il entra dans la salle d’un par ferme.

« Professeur Thomson ? Est-ce que je pourrais m’entretenir avec vous un instant s’il-vous-plait ? »

Demanda-t-il, débout dans l’encadrement de la porte.

Quand Lúka entra, le professeur était en train de jouer de la guitare. Il la posa afin de se lever et d’ouvrir une fenêtre en l’invitant à entrer. L’élève s’exécuta, observant l’enseignant s’asseoir sur le bureau en lui demandant ce qui l’amenait. Il se demandait s’il venait lui annoncer qu’il allait abandonner les cours de musique. L’artiste ne pouvait que le comprendre. Voir un élève souvent absent, même quand il était présent, venir demander à lui parler… Il était normal qu’il s’interroge.

« Je ne viens pas vous annoncer que j’abandonne, non. Et je ne viens pas non plus émettre une quelconque critique à votre égard, ou à propos de vos cours. En fait, c’est en quelque sorte le contraire. J’aimerais demander si vous pourriez me donner des cours de soutien pour m’aider à remonter mes notes.

Il réfléchit un instant. Devait-il expliquer pourquoi il avait du mal avec les cours de musique ? Si oui, comment ? Il s’assit sur une table en face du professeur Thomson pour être plus à l’aise avant d’expliquer :

- En fait, si je suis ailleurs pendant les cours de musique, ce n’est pas contre vous, mais plus contre… la matière elle-même. Ce n’est pas que je n’aime pas. Mais je ne la supporte plus.

L’adolescent laissa son regard se perdre sur la fenêtre un instant avant d’ajouter :

- Mais j’en ai assez de ne pas avoir des résultats à la hauteur. Je veux essayer de travailler dessus. Je veux faire remonter mes notes. Ça devrait le faire. »

Tant que le professeur ne lui demandait pas d’écouter ou de jouer du piano, il ne devrait pas y avoir de problème. Un cours juste avec le professeur, ça ne devrait pas être la même chose qu’un cours en classe complète, qui lui rappelait l’absence d’Armand.

Le professeur sembla surpris quand Lúka lui demanda pour avoir des cours de soutien. L’élève haussa un sourcil. Quelle image devait-il avoir de lui pour trouver cette annonce surprenante ? Bien sûr qu’il allait travailler dur pour remonter ses notes. Il lui proposa de le retrouver toutes les semaines à la même heure. L’adolescent sourit aussitôt :

« Avec plaisir. Merci beaucoup professeur.

Il hésita un instant pendant que l’enseignant fouillait dans ses affaires pour récupérer des partitions. Toutes les semaines… Est-ce qu’il pourrait être là toutes les semaines ? Il n’avait aucun moyen de le savoir. Peut-être qu’il allait s’endormir juste avant à plusieurs reprises. Peut-être qu’il n’aurait jamais de problème. Seulement voilà, s’il commençait à ne pas venir sans prévenir, le professeur Thomson risquait de douter de son sérieux.

- Il est possible que je n’arrive pas à pouvoir venir toutes les semaines. Quand ce sera le cas, j’essaierais de vous prévenir, si je peux.

Il réprima une grimace. Comment l’enseignant allait prendre cette annonce, lancée sans plus d’explications ? Lúka ne pouvait pas juste lui dire qu’il risquait d’être absent parce qu’il dormirait. Non. C’était hors de question. Pour quoi passerait-il ? Il refusait qu’on le prenne pour un feignant.
Le professeur l’invita à choisir une partition et un instrument. L’artiste observa ceux qui étaient à sa disposition. Avec une mère et un frère pianiste, l’instrument qu’il avait un peu apprit à jouer était, bien sûr, le seul qu’il ne supportait plus- le piano. Cette pensée lui laissa un goût amer mais il s’empressa de la chasser. Il finit hésita un instant avant d’opter finalement pour la trompette. Choisir une partition fut plus compliqué. S’il savait les lire, il était bien incapable de juger, juste en les regardant, de leur difficulté, ou même de leur mélodie. Il finit par juste en sélectionner une au hasard et se tourna vers le professeur Thomson.

- Je suis prêt. »

Lúka sourit à la demande du professeur Thomson de le prévenir quand il ne pourrait pas venir et répondit :

« Bien sûr, cela va de soi.

Un frisson le parcourut en prononçant ces mots. Il savait qu’il venait de faire une promesse qu’il n’était pas sûr de pouvoir tenir. Si le sommeil se faisait trop fort, il risquait de s’endormir sans avoir le luxe de prévenir l’enseignant avant. S’il ne s’endormait pas trop longtemps il pouvait toujours arriver en retard en trouvant une excuse. Mais au bout d’une demi-heure ?
Le professeur s’installa avec la guitare et commença à jouer quelques notes en demandant à l’artiste s’il savait jouer de l’instrument qu’il avait choisit. Celui-ci secoua la tête.

- Non. Ce sera une première fois pour moi. Je suis plus habitué au… piano.

Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de grimacer en prononçant ce mot, aussi, il s’empressa d’ajouter, espérant cacher son malaise :

- Mais, même au piano il buta sur le mot, Je reste un débutant. Je suis plus versé dans la peinture que dans la musique. Mais ça ne m’empêche pas d’apprécier le domaine en temps normal.

L’enseignant invita l’élève à lui montrer ce qu’il savait faire. Lúka le fixa avant de grand yeux avant de baisser les yeux sur sa trompette, puis, vers le professeur à nouveau :

- Heu… Rien ? Enfin. Je sais lire la partition. Mais je ne sais pas comment utiliser une trompette à part en soufflant dedans. Et encore, je ne garantis pas que ma première tentative soit concluante. »

Répondit-il, déjà perdu.

Apparemment, il avait choisit une partition de jazz. Soit. Lúka préférait le classique, mais, quelque part, le jazz convenait sûrement mieux à l’instrument qu’il avait choisit. Et puis, le jazz, ce n’était pas si mal non plus.
Le professeur s’assit à côté de lui en lui expliquant qu’il allait devoir apprendre à respirer correctement pour pouvoir jouer de la trompette. Le jeune peintre observa l’instrument qu’il avait choisit un instant, en se demandant s’il n’aurait pas mieux fait de choisir quelque chose de plus simple à aborder finalement. Il releva la tête vers Monsieur Thomson afin de demander :

« Vous parlez de la respiration ventrale, c’est ça ?

Il en avait entendu parler. Il se souvenait avoir lut quelque chose à ce sujet- même si son stupide cerveau refusait de se souvenir des détails pour changer. Mais il ne l’avait jamais pratiqué auparavant. Certes, il était conseillé à tout le monde de le pratiquer. Mais c’était censé aider à gérer le stress ? Lúka avait confiance en lui, pourquoi stresserait-il ? Ceci-dit, si c’était un passage nécessaire pour jouer de la trompette… He bien il y avait un début à tout. Aujourd’hui, Lúka Munin allait apprendre à respirer différemment.
Il écouta les instructions de l’enseignants en observant ce qu’il faisait, essayant au passage de se remémorer ce qu’il avait lut- non, impossible, ce bon vieux trou noir était revenu le hanter- avant de l’imiter, s’appliquant à la tâche. C’était étrange. Malgré sa concentration, sa respiration  essayait de reprendre son rythme habituel. Sur le long terme, il se sentait un peu… bizarre. Sa tête tournait un peu. Les joueurs de trompette faisaient vraiment ça pour jouer de la trompette ? A petite dose ça allait, mais sûr toute une musique ? PLUSIEURS ?
QU’EST-CE QUE CA DEVAIT ÊTRE DE JOUER DU TUBA ?

- Ce n’est pas facile. Enfin. Ce n’est pas que ce n’est pas facile. Mais c’est dur à tenir. Je n’ose même pas imaginer ce que ça doit-être de jouer une partition complète…

Commenta-t-il avant de secouer la tête :

- Mais ce n’est pas grave. Je ne compte pas abandonner là. Je vais faire de mon mieux.

Mais il commençait sérieusement à se demander s’il allait produire la moindre note avant la fin de la séance.

Lúka hocha la tête. Bien sûr qu’il pouvait penser que c’était dur sans être un lâche. Au contraire. C’était justement lorsqu’on trouvait la tâche dure et que l’on persistait que l’ont démontrait son vrai courage, sa vrai motivation. Il continua à se concentrer sur sa respiration. Ce n’était pas si compliqué, le tout était de savoir tenir. Alors qu’il était complètement concentré sur sa respiration, il entendit vaguement le professeur lui poser une question. Le mot piano le fit tiquer aussitôt. Il en perdit le rythme de sa respiration, sentant tous les muscles de son corps se crisper.
Pourquoi avait-il fallut qu’il l’interroge sur ça ? Ce n’était pas particulièrement un secret- de toute façon ceux qui le connaissaient de sa précédente année à Indarë étaient au courant- mais Lúka n’aimait pas revenir sur la mort de son frère. A chaque fois, la douleur était toujours aussi vive. Le visage assombri, il baissa les yeux, faisant mine de se concentrer sur son ventre :

« J’avais un frère jumeaux. On était en cours ensemble. Il jouais du piano.

Un soupir franchit ses lèvres. Il essayait de retenir ses larmes. Il savait qu’il allait pleurer. Il pleurait toujours quand il pensait à Armand.

- Je ne supporte plus le piano parce que ça me rappelle… Ça me rappelle qu’il n’est plus là.

Il crispa ses poings sur ses genoux, sentant ses larmes lui monter aux yeux. Il n’allait pas réussir à les retenir.

- C’est pareil pour les cours de musique. Si je n’arrive pas à me concentrer, c’est parce que je ne supporte pas l’idée d’y être sans lui. Je ressens son absence plus que dans n’importe quel autre cours.

Inutile d’espérer travailler sa respiration à présent qu’il s’était mit à sangloter.

La musique s’était arrêtée. Mais Lúka ne le réalisa tout à fait que lorsqu’il sentit la main du professeur se poser sur son épaule. Il leva les yeux sur lui, image floue à travers ses larmes. L’enseignant lui dit que personne ne remplacera jamais son frère. L’artiste sentit sont cœur se serrer. De toute façon, il était hors de question que qui que ce soit remplace un jour Armand. Cette idée même le révulsait.
Armand était son frère. Armand était son pianiste. Personne d’autre n’avait le droit de prendre cette place.
Monsieur Thomson ajouta que jouer de la musique rendrait Armand fier… Lúka n’était pas sûr. Armand serait fier de lui s’il devenait un grand peintre reconnu. Ils s’étaient lancé ce défi de devenir célèbre avant l’autre quand il était encore là. Armand voudrait définitivement le voir réaliser cette ambition même s’il n’était plus là.
Mais il voudrait sûrement le voir se réconcilier avec la musique aussi. Il voudrait qu’il puisse à nouveau se laisser porter par les émotions des mélodies.
Il écouta les explications du professeur sur sa mère. Il ne put s’empêcher de grimacer à la mention de maladie. Armand lui avait été prit par une maladie. Pas une grosse maladie comme le cancer. Pas une maladie génétique contre laquelle il avait toujours du lutter. Non. Une stupide pneumonie.

« Je suis plus café que soda, mais si c’est tout ce que vous avez, je m’en contenterais. J’ai bien besoin de boire quelque chose.

Il essuya ses larmes, même si elles risquaient de couler à nouveau.

– Mon frère voudrait me voir devenir un grand peintre. Comme on se l’est promit. Et j’y compte bien, il regarda la trompette, Mais je veux aussi jouer de la musique, je veux me sentir proche de son monde. Comme je l’étais avant quand il jouait pendant que je peignais.

Un soupir franchit ses lèvres :

- Mais en même temps, j’ai du mal. J’ai du mal à entrer le monde de la musique… Sans lui. »

« Merci

Souffla Lúka en prenant la canette. Elle était froide dans sa main, et le froid mordait sa chair. Il ouvrit la canette, libérant le gaz dans un « pshiit » retentissant. Il but une longue gorgée, profitant de la sensation agréable du liquide qui coulait dans sa gorge. Tout en buvant, il réfléchissait.
Se consacrer à la peinture, et abandonner la musique… Il n’arrivait pas à se satisfaire de cette option. Bien sûr, il se consacrait à la peinture, quoi qu’il arrive. C’était sa passion, son talent, sa raison d’être. Mais la musique… Il refusait d’abandonner cet univers. D’abord parce qu’il affectionnait la musique. Et puis, surtout, il ne voulait pas abandonner l’univers d’Armand. C’était hors de question. Même si y entrer sans lui était dur. Le laisser derrière était plus dur encore.

« Non. Je peux m’améliorer pour les cours de musique. Ça va le faire. Tant qu’on ne fait pas de piano, je peux y arriver.

A la question du professeur, l’élève hocha la tête :

- C’est le seul moment où je supporte d’entendre du piano. Quand je peins. Et inversement, je n’arrive pas à peindre sans piano. Si je n’ai pas de piano, je suis obligé de fredonner pour… disons, combler le silence.

Il baissa les yeux sur sa canette, écoutant les pétillements qui résonnaient à l’intérieur avec un vague bruit métallique.

- Je veux me réconcilier avec la musique. Je veux me réconcilier avec le piano. Je sais bien que je n’y arriverais pas du jour au lendemain. Mais je compte bien y arriver. C’est pour ça que je vais continuer mes efforts. La trompette, ça va aller. Ce n’est pas du piano.

Il grimaça :

- Les cours de musique avec toute la classe, ce sera une autre histoire. »