Janvier 2020.
Quand je suis arrivée en Angleterre, j'ai su que mes habitudes devaient changer. Après tout, personne ne rangeait ses chaussures à l'entrée des toits, personne ne mangeait salé le matin. Mes habitudes de japonaise se devaient d'être restreintes. Et pourtant, j'en ai gardé la plupart. Que l'on me réponde ou non, je continue de m'incliner par respect, qu'il y ait une couche de sarcasme en dessous ou non. Les premiers jours dans ma nouvelle école m'ont mis de petites claques régulières. Les élèves changent de salle, il y a des « groupes » et personne ne nettoie la classe. Je n'ai pas passé beaucoup de temps avec les enfants « normaux » mais la logique m'échappait. Également, j'ai pu constater que les Anglais ne sont pas si ponctuels que cela. Plus que les Français, sans aucun doute, mais bien moins que les japonais. Ne serait-ce que les trains... Jamais les trains de mon pays n'ont été si en retard que ceux des britanniques... Mais il paraît que je devais m'y faire, faire avec les coutumes du pays dans lequel j'étais. Prenons sur soi.
Pourtant, il y a des habitudes dont je ne veux pas me séparer. Je refuse d'arrêter de m'incliner pour saluer, je refuse d'oublier les kamis et les yokais. Je refuse d'arrêter d'être ce que je suis. Ma culture m'est importante. Et cela inclut beaucoup de chose. Mais le mail que je reçus ce matin-là non. Lorsque j'étais au Japon, ma ligne était sécurisée. Tout comme mes trajets et mes courriers. Ici... Non. Mes yeux se sont écarquillés sous l'image jointe et pour une fois, la peur m'étreignit.
Dans ma chambre, j'observe mon téléphone sans un mot. Mon bras est plâtré et l'image que mes yeux observent sans arriver à s'en détacher me montre, moi, au bras de Damen. Je me souviens. Je l'avais abordé au lycée pour lui demander s'il pouvait me trouver un peu de verdure à fumer. Mon bras allait encore bien, j'étais en uniforme scolaire. Je souriais. J'ai presque toujours souris à côté de Damen. Il m'amuse. Il me rassure. Je suis idiotement bien à ses côtés. Ce n'est pas le bon chemin, il va m'entraîner plus profondément que tout ce que j'aurais pu voir seule. Je le sais. Et je m'en fous. Je veux comprendre. Je le voulais il y a quelques mois, je le veux toujours. Je pensais que je le voulais toujours. Mais là, devant cette photo où je suis de trois quart et où Damen est presque de dos, je n'en suis pas sûre.
Un vent glacial semble m'emporter. Un vent qui veut me geler, un vent qui efface toutes mes certitudes. Je sens le temps s'arrêter et mon souffle avec. J'ai peur. J'ai terriblement peur. Pour lui. Pour moi. Pour... tout... Mon corps tremble faiblement. Mon corps semble toujours réagir avant moi. Mon bras est inutilisable alors que mon doigt touche machinalement le message qui s'efface pour laisser apparaître quelques caractères. Du japonais. Soutenu et parfaitement rédigé. Terrifiant.
« Tu aurais dû prendre mon bras au lieu du sien. Tes sourires m'appartiennent Eri-chan. »
Un instant je m'arrête de bouger, complètement. Je fais quoi ? Je fais quoi maintenant ?! Mes doigts lâchent l'objet alors que je porte mon bras blessé à mes lèvres. Je laisse le téléphone sur mon lit alors que mes jambes me portent jusqu'aux toilettes. J'y déverse sûrement deux ou trois repas mais j'admets ne pas m'en soucier. Ma gorge me brûle, comme si on m'empêchait de crier. Mon bras me lance. Et une crainte naît. Forte, puissante et sans que je n'arrive à l'expliquer. Est-ce que Damen va bien ? Je retourne dans ma chambre, l'eau du robinet coulant le long de la commissure de mes lèvres. Je reprends mon téléphone, pour lui envoyer un message, quand je vois que j'ai reçu deux autres messages.
« Eri-chan, tu es si belle. J'ai hâte de pouvoir te guérir ma chérie. Sors de cette école, je t'attends pour t'aimer comme il se doit »
-
Terrifiant. Mes doigts ignorent l'autre message, créant un nouveau sms pour que Damen le reçoive rapidement.
« Hey hey ! J'ai quelques questions pour toi, idiotes hein, mais j'aimerais des réponses franches. Personne ne t'a abordé récemment ? Personne de bizarre ? Tu n'es pas suivi ? Tu vas bien ? »