[L'Ouragan] Cadence Clearwater, Hôpital de Bloomsbury

« All those moments will be lost in time, like tears in rain »

L'ouragan

Cadence passait beaucoup de temps devant les écrans; console portable et téléphone prenaient tous deux une part énorme de son temps libre. Et de nos jours, il était presque impossible de rater un news importante si l’on passait du temps devant un écran, ou pire, sur les réseaux sociaux.

C’est comme cela que quelques minutes seulement après leur publication, la jeune fille pu lire les premiers témoignages de l’ouragan qui frappait alors soudainement le Royaume-Uni.

Sur le moment, elle ne fût pas particulièrement inquiète : les orages et les tempêtes ne lui avaient jamais vraiment fait peur. Après tout, elle était dans un grand bâtiment récent et médicalisé, qu’est-ce qui pouvait lui arriver ?

L’inquiétude pesait pourtant bien sur le reste de la clinique. Dans le couloir adjacent, Cadence pouvait entendre les infirmières et les techniciens s’affairer comme une ruche d’abeilles en ébullition. Des adaptations d’urgences devaient s’effectuer: déplacer certain patients des endroits pouvant être trop dangereux, s’assurer des différents systèmes du bâtiment, faire l’inventaire des stocks disponibles en cas d’isolation…

Toujours dans son monde, l’adolescente n’était pas du tout phasé. Elle avait reçu pour consigne de ne pas sortir de sa chambre, et elle n’était que trop heureuse de s’y conformer; tout ce dont elle pouvait avoir besoin s’y trouvait déjà.

Passant d’une application à l’autre sur son téléphone, son regard se posa furtivement sur l’heure. 16h36. Un rapide coup d’œil par la fenêtre depuis son lit laissait maintenant entrevoir un ciel noir comme de l’encre, et la pluie battante semblait se transformer très rapidement en grêle qui claquait contre la vitre.

Cadence pouvait maintenant sentir un poids dans son estomac. Sa nonchalance fondait comme de la rillette sur un radiateur maintenant qu’elle ne pouvait plus se convaincre qu’il n’y aurait rien de plus qu’une averse et des rafales de vent. Dans le silence pesant de sa chambre, elle se leva et se posta debout devant sa fenêtre. A cet instant, un énorme grêlon frappa la vitre et une grosse fissure apparu. Prise par surprise et croyant que la fenêtre allait se briser sur le moment, Cadence poussa un cri aigüe tout en couvrant ses tempes avec ses mains, détournant le visage par réflexe défensif.

Elle recula pour retourner vers son lit et, l’instant d’après, une infirmière débaroula dans la chambre.

"- Que s’est-il passé ? Tout va bien ici ?!"

"- Oui, désolé je… Je me suis faite surprendre, c’est tout."
 
Cadence connaissait bien la femme qui était venue à son secours : Lydia était préposée à ce service et elle la croisait presque tous les jours depuis 2 ans. Comme beaucoup, l’infirmière s’était prise d’affection pour la pauvre jeune fille qui était là pour se reconstruire après un terrible événement.

Quelques secondes seulement après l’arrivée de Lydia, la grêle redoubla de force et cette fois, la fenêtre se brisa pour de bon en gros morceaux. Un vacarme assourdissant de vent et de pluie battante empli instantanément la pièce, alors que la grêle bombardait à présent la grille en métal qui était là pour sécuriser les fenêtres des patients psychiatriques. L’infirmière se rapprocha et prit doucement Cadence par le bras ; elle savait que cette dernière réagissait mieux lorsqu’un contact physique était établi.

"- Vient Cadence, le couloir est  moins dangereux."

Après quelques pas, elles refermèrent la porte derrière elles, et alors que Lydia s’apprêtait à reprendre la parole, toutes les lumières s’éteignirent. Lydia soupira.

"- Ca y est, le courant nous a lâché. Normalement dans un instant…"

Des lumières rougeâtres prirent la place des habituels néons blancs. Les générateurs de secours avaient pris le relai ; un système obligatoire dans n’importe quel établissement de santé digne de ce nom. Cadence était maintenant terrorisée, jetant des regards dans tous le sens. Par reflexe, elle attrapa de ses deux mains celle de l’infirmière. Tout ce qui était imprévu était une grande source d’agitation pour elle, et cet imprévu-là était particulièrement peu rassurant.

"- S’il te plait, ne me laisse pas ! Je t’en supplie !"

Essayant d’avoir l’air le plus en contrôle possible, Lydia garda l’une des mains dans celle de Cadence et lui parla doucement en la suivant du regard.

"Ne t’inquiète pas, je suis là, je ne vais nulle part sans toi. Vient, il faut rejoindre les autres, ils doivent être au poste de contrôle de l’étage."

Le duo arpenta les couloirs quelques minutes, l’infirmière faisant ce qu’elle pouvait quand elle passait devant une autre situation problématique. Elles arrivèrent alors enfin à l’office central de cette aile de la clinique où, comme Lydia l’avait prévu, ses collègues s’étaient rassemblés avec le reste des patients ne présentant pas de risque immédiat. Les yeux de Cadence ne savaient plus où se poser. Il y avait trop de monde pour elle concentré dans cette petite zone, et le bruit de la tempête extérieure se mêlait maintenant au brouhaha de la foule.

La jeune patiente put sentir la main de son ange gardien de fortune se desserrer, et comprit que la jeune femme allait déjà devoir oublier sa promesse de rester avec elle. Et en effet, quelques instants plus tard, l’une de ses collègues l’apostropha:

"- Lydia, vient, on a un problème avec la chambre 502!"

L’infirmière rejoignit sa semblable pour aider un patient certainement plus sensible qu’elle. Cadence était maintenant seule, au milieu de cette crise. Elle ne savait plus quoi faire de sa personne et son regard se posait sur un nouveau visage à chaque seconde qui s’écoulait.

Son rythme cardiaque et sa respiration s’accélérèrent, alors que les bruits environnants semblaient de plus en plus forts et se mélangeaient entre eux. La lumière commençait à lui donner une migraine. Comme à chaque fois qu’elle était confrontée à une situation stressante depuis son traumatisme, Cadence se mettait à souffrir d’hyperesthésie : ses sens percevaient une version exagéré des stimuli ambiants, et tout devenait douloureux à ressentir.

L’adolescente ferma les yeux et s’adossa au grand bureau qui trônait au centre de ce carrefour de l’étage, puis se laissa doucement glisser au sol pour s’assoir. Elle prit sa tête dans ses mains et ramena ses genoux contre son buste. Là, elle attendit que le temps passe et que tout s’arrête enfin.

Soudain à coup, un bruit sourd culmina par-dessus tous les autres, alors que des vibrations se firent sentir dans tous le bâtiment l’espace de quelques secondes. Un agent de l’entretient qui avait encore eu le courage jusqu’ici de regarder ce qu’il se passait par une fenêtre brisée avoisinante sorti en catastrophe :

"- Les entrepôts à quelques blocs d’ici ! Tout s’est effondré !"

Les réactions ne se firent pas attendre et chacun y alla de son onomatopée. Beaucoup voulaient chercher un moyen de quitter l’hôpital, pensant qu’il serait le prochain à être détruit.  Cadence commençait à gémir doucement malgré elle, alors que des larmes coulaient le long de ses joues. Elle pouvait sentir que les vents s’intensifiaient de plus en plus dehors, faisant craquer le bâtiment et mugir les couloirs.
Le personnel calma le jeu et les esprits, rappelant à tous qu’il ne s’agissait pas ici de 4 murs et d’un toit en simple taule.

18h

Les minutes et les heures semblaient interminables. Les infirmières, les médecins et les techniciens n’avaient maintenant plus grand-chose à faire à par gérer les patients sur place maintenant qu’une accalmie avait daignée s’installer depuis un petit moment. De temps en temps, quelqu’un venait s’assurer qu’elle allait bien. Une partie des réserves avaient été distribuées à cet étage, et Cadence avait hérité d’une bouteille d’eau, d’un paquet de madeleine, et de plusieurs cachets de ses prescriptions habituelles qu’elle avala sans broncher.

Elle était toujours assise par terre, son visage collé contre ses genoux et ses bras fermement encrés autour de ses jambes. La jeune fille n’osait plus bouger d’un iota et était restée, tétanisée, au pied du meuble depuis un long moment. Avait-il été vraiment long ? Elle n’aurait pas pu le dire, le temps semblait se distordre.

A cet instant, les mécanismes habituels de son esprit torturé se mirent en branle, et elle fût plongée dans l’un de ses états contemplatifs profonds. Le monde avait disparu comme si elle s’était endormie, et seule la visualisation de ses pensées remplissait son cerveau. Comme souvent, la plupart de ces songes avaient un rapport avec ses plus mauvais souvenirs, mais au moins étaient-ils familiers.

Au bout d’un moment, un sifflement se fit entendre. A mesure qu’il devenait de plus en plus fort, Cadence se rendit compte que c’était quelqu’un qui criait son nom. Non… Pas son nom. Sur surnom. Le surnom que lui donnait son père.

Beloved… Beloved… La voix semblait se rapprocher. Le malaise qui s’était installée en elle était en train de monter crescendo. Soudainement, quelqu’un la saisit par les épaules et la força à se relever. Elle ouvrit enfin les yeux et, incrédule, pouvait voir son père, devant elle,  l’appelant encore une fois.

"- Beloved !"

Des larmes coulèrent de plus belle sur son visage, et elle commença à se débattre avec toute la force qu’elle pouvait rassembler contre l’étreinte de son bourreau. Mais alors que son esprit se réajustait petit à petit à la réalité devant-elle, elle se rendit compte que le tortionnaire n’était pas là. Il s’agissait du docteur Shepard, son psychiatre. Ce dernier avait eu un mal fou à contenir les coups de l’adolescente, et quelques griffures décoraient maintenant ses avant-bras et sa joue.

"- Cadence ! Il faut partir d’ici ! Le toit n’évacue plus l’eau et commence à s’effondrer ! Tout le monde profite d’e l'accalmie pour évacuer ou bien se réfugier plus bas. Il faut qu’on descende, on est trop proche du dernier étage !"

L’information mis un petit temps à monter à son cerveau, et un de plus à être comprise, comme si elle venait d’être réveillée brusquement d’un sommeil très profond. Mais son instinct faisait confiance au docteur Shepard. Elle acquiesça et le suivit sans prononcer un mot pour le moment. Les deux protagonistes se dirigèrent vers les cages d’escalier, et se préparèrent à dévaler les étages.

Au moment d’enjamber les premières marches, Cadence se rendit compte qu’elle n’aurait peut-être pas dû mettre ses bottes à plateformes préférées aujourd’hui…

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia

« All those moments will be lost in time, like tears in rain »

L'ouragan

“- Qu’est-ce que tu fabriques? Dépêche-toi ! Tu as une soudaine phobie des escaliers dont tu ne m’a jamais parlé ?!”

Cadence fronça les sourcils un instant. Ce n’était pas le genre de son psychiatre d’être aussi direct et de faire des commentaires aussi brusques, mais elle mit ça sur le compte de la situation et de l’urgence. C’était simplement sa façon de la motiver. Elle continua alors sa descente des étages jusqu’aux sous-sols avec prudence. Définitivement, ce n’était pas le bon jour pour avoir enfilé sa panoplie complète de gothique-wannabe.
Malgré toute son attention portée sur la simple action de marcher, chaque pas semblait plus précaire que le précédent. Les marches étaient assez courtes, et ses énormes semelles à plateforme dépassaient largement, la jeune fille avait un mal fou à garder l’équilibre, d’autant qu’elle n’avait jamais eu encore l’occasion de marcher des kilomètres avec.

“- J’arrive ! J’arrive ! J’aimerai bien vous voir faire la même chose avec mes - “

Ce qui devait arriver arriva. En train d’engueuler le médecin, Cadence ne fit pas attention à son dernier pas, et l’adolescente valdingua. Tout son poids partit en avant alors que la botte de la jambe droite, qui emprisonnait son pied et sa jambe jusqu’au genou, ne permit pas à sa cheville de se plier et de s’adapter. La douleur fut instantanée et lui fit écarquiller les yeux, et elle se rendit compte que ses réflexes n’allaient pas être assez rapide pour l’empêcher de se rétamer méchamment par terre.

Tel un superman en blouse blanche, le docteur Shepard plongea en avant et réceptionna le petit corps fragile dans ses bras. Pendant quelques secondes, on aurait dit un marié qui avait soulevé sa belle pour l’emmener du pas de l’église jusqu’à sa voiture. Ou de l’entrée de la chambre jusqu’au lit et… Bref.

Le médecin la déposa doucement à terre alors qu’elle se crispait de douleur en se tenant la jambe droite. Shepard les repoussa doucement et prit un instant pour lui enlever la maudite botte, se grattant la tête un moment pour comprendre comment on enlevait toutes les boucles et la fermeture éclaire camouflée derrière la jambe. Cadence était pour l’instant trop souffrante pour penser à se moquer de lui, mais elle n’y manquerait pas plus tard. La chaussure glissa doucement pour révéler des collants d’un blanc opaque en dessous.

En tant que psychiatre, Shepard avait fait les mêmes études de médecines que les autres spécialistes, mais il n’en aurait même pas eu besoin pour diagnostiquer l’entorse de la jeune fille. La cheville était déjà bien enflée et la chaire prenait une teinte rouge-violacée.

“- C’est assez vilain… Tu ne risque pas de descendre le reste des marches ou même de poser le pied pendant un moment.”

Cadence était incapable de le regarder dans les yeux, alors que les siens étaient larmoyant à cause de la douleur et de la gêne. Essayant de le cacher, elle les frotta rapidement et laissa sa main sur la partie supérieure de son visage.

“ - Désolée, je suis désolée ! Je suis un boulet…”

L’homme soupira doucement et esquissa un sourire malgré la situation. Il était habitué à devoir remonter le moral de sa jeune patiente.

“ - Ne t’en fait pas, ce n’est rien. Ce sont des choses qui arrive à tout le monde, et tu ne dois pas te blâmer à tort et à travers. On en avait déjà parlé, tu te rappelles? Aller, il faut se dépêcher !”

Sans prévenir et avec un enchaînement de gestes assez brusques, Shepard la repris à nouveau dans les bras et la souleva, avant de se mettre à dévaler les marches restantes. Surprise, Cadence écarquilla encore un peu plus les yeux et se mit à rougir, incapable de ne pas faire le rapprochement de cette position avec les princes et princesses des contes. Elle savait qu’il lui serait impossible de prononcer un mot sans bégayer et de se ridiculiser encore un peu plus, alors le reste du voyage fut silencieux. Transfert, vous avez dit transfert?

Le duo arriva enfin aux sous-sols de l’hôpital où quasiment tout le monde s’était réfugié pour échapper aux danger de l’ouragan. Malgré la profondeur du bâtiment, ils pouvaient encore entendre et sentir une partie de ce qu’il se passait à l'extérieur. Son psychiatre la déposa à nouveau délicatement par terre et s’absenta le temps de trouver un peu de matériel médical. Il revint avec un bandage élastique quelques instants plus tard et fit un strapping sur la cheville endoloris après l'avoir massé un peu avec de la crème anti-inflammatoire, provoquant soubresauts et petits gémissements étouffés de douleur chez l’adolescente.
Sa tendence à la promiscuité physique mélangée à l'amour malsain de la douleur emplissait alors sa tête de pensées impures dont elle ne révéla rien, se forçant à ne toujours pas parler au docteur Shepard.

Là, ils attendirent patiemment la fin de la tempête, anxieux de découvrir l’étendu des dégâts matériaux et humains quand tout sera fini.

Fiche par Sánsa ; sur Never-Utopia