[2019] Nous avons les mêmes amantes

Thomas Baxton

Ancien membre

Le début du semestre a été intense. Entre les nouveaux élèves, le départ de certains professeurs et l'arrivée d'autres, Thomas a eu un grand nombre de dossiers, cours et d'autres détails administratifs à rattraper. Autant dire que son temps libre à consacrer à la lecture a été très limité ces derniers semaines, et la moindre pause dans son rythme un peu trop rapide est bonne à prendre. Ça tombe bien : le jeudi, avant le déjeuner, il dispose d'une heure entière de pause et, contrairement à son habitude, il l'a consacrée à lire dans son bureau, pour se détendre, plutôt qu'à chercher des sujets de cours ou à corriger les premières copies de l'année. L'absence d'incident avec les 1°A a aidé à ce qu'il ait un état d'esprit radicalement plus détendu.

Malheureusement, l'heure de calme touche à sa fin. La cloche signalant le déjeuner finit par sonner et il entend les élèves commencer à sortir de cours, se précipiter dehors pour manger, que ce soit à la cafet, au réfectoire ou chez eux. Avec un petit soupir, Thomas referme son livre, incapable de lire dans la cohue du début de déjeuner, et il récupère sa veste et son paquet de cigarettes. A défaut de pouvoir lire, il va profiter un peu de l'air frais de cette fin de janvier et de la solitude qu'il implique : très peu d'élèves mangeront dehors par ce temps, si ce n'est aucun. L'extérieur risque fort d'être un endroit calme, une fois passée la vague d'adolescents se précipitant à l'intérieur. Calmement, il suit donc la masse d'élèves jusqu'aux portes de l'établissement, quittant  les couloirs pour se rendre dans la cour de l'ISS, désertée à cette heure. Comme il s'y attendait, les seuls élèves qui s'y aventurent sont simplement de passage pour rejoindre la cafétéria des dortoirs, et il s'adosse tranquillement contre un muret, évitant les bancs couverts de neige. Il a de toute manière passé assez de temps assis pour l'instant.

Quelques claquement de briquet plus tard, et il ferme les yeux en expirant sa première bouffée de fumée. Il avait vraiment, vraiment besoin d'une pause. Tellement que, pendant le bref instant où l'air chaud remplace le froid de l'hiver dans ses poumons, il oublie ce qui se passe autour de lui. Ça ne dure pas longtemps, juste l'espace d'un clin d’œil, mais c'est déjà plus de détente que dans les derniers jours réunis. La première cigarette de la journée, c'est comme la première page d'un livre : il ne s'en lasse jamais. Surtout quand il a dû attendre aussi longtemps avant de pouvoir y toucher.

Du coin de l’œil, quand il prend la peine de rouvrir les paupières, il aperçoit une femme. Une silhouette qui n'a rien de familier, trop âgée pour être une nouvelle élève. Vu l'endroit où il se trouve, sûrement une nouvelle collègue. Soucieux de vivre selon ses principes, il s'avance dans sa direction.

» Bonjour, dit-il lorsqu'il arrive à son niveau. Je ne crois pas vous avoir déjà vue, j'imagine que je suis dans le vrai si je vous souhaite la bienvenue dans l'école.

Thomas Baxton

Ancien membre

Un costume noir et une écharpe rouge vif ; le moins qu'on puisse dire, c'est que la jeune femme se détache au moins autant de la masse que lui et son long manteau. Le genre de personne que l'on ne remarquerait peut-être pas de loin sans ça, mais qui devienne facilement reconnaissable. A supposer qu'elle la porte régulièrement et que ce ne soit pas juste une écharpe parmi d'autres. Elle répond à sa salutation par un bonjour sobre, simple, de quoi lui donner une raison rapide de l'apprécier.
Il aime les gens qui ne se perdent pas en paroles alambiquées et inutiles quand ils s'expriment.

Elle se présente peu de temps après, répondant à la question implicite sous-entendue dans son accueil. Ainsi, il s'agit donc de la nouvelle professeur de maths de l'établissement. Il n'a jamais été spécialement proche de son prédécesseur, un professeur très gentil avec les élèves avec qui avait pourtant tout pour qu'ils s'entendent, à part peut-être des intérêts communs. Il est vrai qu'il est parti à la retraite récemment, Thomas se souvient d'un au revoir tout en sobriété comme on s'y attendait de l'homme. Et c'est donc cette jeune femme qui prend sa place aujourd'hui. Pas étonnant qu'il ne l'ait encore jamais vue, le départ de Mr Bleeker est très récent, elle ne doit être là que depuis quelques jours.

» Thomas Baxton, répond-il en serrant la main qu'elle lui tend. Je suis professeur d'anglais depuis janvier 2018.

Il a commencé comme elle, arrivé en cours d'année devant des élèves qu'il a dû rapidement apprendre à connaître pour mieux pouvoir les aider. Parmi ses réussites de l'an dernier, il compte le passage de Brook de première à troisième année qui semble avoir eu un impact très positif sur la santé et la confiance en elle de la jeune fille. Au fond, il espère pouvoir aider plus de gens chaque année, devenir une figure de confiance pour les lycéens comme les étudiants et permettre de se confier à ceux qui ne le font pas volontiers dans le bureau d'un psychologue.

» Je suis aussi professeur de littérature à l'université depuis septembre.

Preuve si besoin est qu'il est du genre à se surcharger de travail, comme s'il cherchait à combler quelque chose. C'est quelque chose qu'on lui dit souvent, même si sa réponse est toujours la même : il ne fait que vivre dans sa passion, les livres, et la transmettre à d'autres en les aidant du mieux possible. Ce qu'il avait fait toute sa vie, depuis la primaire.

PS:

Thomas Baxton

Ancien membre

Un sacré emploi du temps, c'est peu de le dire. En plus de ses cours, il a depuis longtemps informé les élèves qu'il est disponible tous les jours de la semaine pour des cours de soutien, en dehors de leurs heures de cours. Son objectif en arrivant ici était d'empêcher qui que ce soit de se sentir à la traîne en anglais ou de penser que les livres n'était pas pour eux, et il compte bien s'y tenir. A vrai dire, il est conscient qu'il lui reste assez d'heures libres pour enseigner en plus les cours d'anglais langue étrangère aux élèves dont ce n'est pas la langue maternelle et qui ont des difficultés, et il y songe de plus en plus. Sa vie s'est toujours trouvée dans les livres et dans l'aide aux autres, et il n'a jamais rien vécu pour l'orienter dans une autre direction. Alors il opine à son affirmation.

» Dois-je en conclure que vous êtes aussi travailleuse que moi ?

Elle n'a sûrement pas dit ça au hasard. Il part donc du principe qu'elle est comme lui, au moins sur un point, plus préoccupée par ses cours que par une quelconque autre activité, même s'il lui semble peu probable qu'elle soit aussi exclue de la vie qu'il ne l'est. Quoique le ton de sa voix pourrait y faire penser, en vérité.

» Vous avez quelles classes ? Vous devez pouvoir consulter les notes de votre prédécesseur pour ce qui est de leurs compétences. Pour ma part, j'ai noté quelques détails, principalement leur comportement et de leurs préférences, pour qu'ils travaillent dans des conditions qui leur conviennent.

Mettre à l'aise les adolescents, ne pas les faire vivre trop près de choses qui leur faisaient peur ou, au contraire, faire en sorte qu'ils se trouvent dans des situations optimales. Ceux qui préféraient travailler seuls, ceux qui avaient besoin de conseil, ceux qui vivaient mal les contacts, les petites affinités qui rendaient le travail de groupe plus facile sans les distraire, le type de livres qu'il préféraient, leur méthode d'apprentissage de prédilection... en plus des conditions imposées par l'établissement pour certains élèves, ça lui permettait d'avoir un portrait assez rapide de certains de ses élèves.

» En terme de niveau, je sais que la petite Middleton, en 2°1, est surdouée, et que nos cours l'ennuient. Essayez de lui donner des exercices de niveau supérieur.

C'était l'une des élèves qui lui posaient le plus problème : impossible de l'intéresser à quoi que ce soit. A l'écouter, elle avait tout vu, tout lu, tout fait. Il peinait à trouver des livres qui l'intéressaient et ses bons résultats ne changeaient rien à son ennui.