La lumière dans l'obscurité - 02/10/2018

Une semaine. Ce fut le temps qu'on me laissa sans aller en cours après ce qu’il s’était passé dans les couloirs du lycée. Je n’avais plus voulu mettre les pieds dans les locaux de l’école. En vérité c'était à peine si je parvenais à rentrer dans les dortoirs. Après tout, qui pouvait prédire si je n’allais pas recommencer comme ce jour-là ? Je n’étais qu’un être dangereux ne pouvant pas vivre au sein d’une communauté. Même penser me faisait perdre le contrôle sans que je parvienne à comprendre comment ou pourquoi. Mais une chose était sûre : j'étais extrêmement soulagé que personne n’ait été là dans ces moments de violence. Là encore, les raisons pour lesquelles mes victimes n’avaient été que des meubles usés par le temps et le manque d’entretien m’échappent totalement. Surtout que je n’étais pas si loin que ça des activités scolaires. Ce n’était vraiment pas compréhensible, surtout avec ce que j’étais apparemment capable de faire.

Pendant tout ce temps passé seul, je n’avais cessé d’essayer de me rappeler ce moment de perte de contrôle. Normalement, cela n’arrivait que lorsque j’étais obligé de subir la malveillance de mon chef ou de tuer une personne que je ne connaissais que d’après les dossiers qu’on me donnait. Mais, cette fois, “il” était intervenu quand j’avais vu Ellia Ballentine, une personne qui m’avait sauvé la vie alors qu’elle ne me connaissait ni d’Eve, ni d’Adam, se faire malmener par certains de mes ennemis. De base, il s’agissait simplement de certains de mes camarades de classe qui me détestaient depuis que notre “équipe” en sport avait perdu un match. En même temps, qui met un borgne dans des cages de foot ? En tous les cas, depuis cet instant dont je me rappelais bien, trop bien, ils me détestaient au point de me faire subir toutes sortes de harcèlement. Je ne comprenais pas trop ce qui les avaient amenés à s’en prendre à une personne que j’avais rencontré une fois. Peut-être que cela n’avait rien à voir avec moi… Bref. Dans tous les cas, la situation n’était en rien une de celles qui me ferait perdre le contrôle en temps normal. Alors pourquoi ? Qu’avais-je fait exactement ?

Ces questions n’avaient cessés de me hanter jusqu’à ce qu’un surveillant vienne me chercher pour m’amener dans le bureau du proviseur. Ce dernier me fit une leçon de morale sur le fait qu’aller en cours était très important pour mon avenir, même si mon cas était un peu particuliers. Il me pria donc de reprendre les cours dès l’instant où je sortirais de son bureau. Il était clair que ma punition serait un avertissement accompagné d’un redoublement forcé, mais ce ne fut pas dit verbalement. Je le devinais que trop bien et il devait le savoir. Voilà pourquoi, dès qu’il m’en donna l’autorisation, je sortis, sans dire un mot. Aucun son n’avait franchi mes lèvres depuis un bon moment. Savoir combien de temps exactement m’était impossible, ne serait-ce à cause de mes moments d’absence, quand “il” avait prit ma place sans aucune doute.

Dans les couloir du bâtiment de la direction, j’entendis une sonnerie de téléphone. Certainement un portable, mais je ne pouvais pas en avoir la certitude sur le coup. Elle était proche et devant moi, ce qui allait me donner une réponse, mais je n’en avais rien à faire. Quel en était l’intérêt ? Après tout, il y avait qu’une chance sur dix mille (et encore) que cela puisse me concerner de près ou de loin. Alors quand mon chemin croisa celui de Mao, je me figeai immédiatement. Les mains dans les poches de mon pantalon, je le regardai répondre à un coup de fil en pâlissant à vu d’oeil. Cela fut pire quand il s’approcha de moi. M’enfuir n’avait aucun autre intérêt que m’apporter des ennuis. Lui parler était exclus : il m’effrayait tellement que je ne pouvais pas le cacher. Puis, de toute façon, je ne voulais pas avoir affaire avec lui. Mais je ne pouvais pas l’ignorer. Il était mon supérieur après tout…

Il ne me parla pas, ne me regarda pas plus que nécessaire, mais en passant il me donna un billet. Je ne voulais pas le lire. Je savais de quoi il s’agissait et j’en tremblais. Etait-ce d’excitation ou de peur ? Les deux et je ne parvenais pas à comprendre la raison à cette réaction complètement stupide. Pourquoi étais-je excité par ce genre de travail ? Non. Cela devait être impossible…

Planté dans le couloir, il sourit brièvement en sortant son morceau de papier de sa poche. Puis, il y jeta un petit coup d’oeil avant de le ranger à nouveau.

En me reprenant, je repris le morceau de papier avec des mains tremblantes et une expression de terreur sur le visage. Et déjà que j’étais visiblement blême, je devins totalement blanc quand je lus les mots tracés à l’encre noire sur la note qui venait de m’être donnée. Pourquoi ? Qu’est-ce qui les poussaient à vouloir la tuer ? Non ! Je ne le voulais pas ! Pourquoi n’était-elle pas partie ? Pourquoi ne m’avait-elle pas écoutée…?

Mes bras tombèrent, devenant totalement ballants le long de mon corps. Mon regard fixait le vide. Mais mon esprit ne cessait de tourner à plein régime, l’information me faisant réaliser la situation dans laquelle je me trouvais. Je ne pouvais pas l’accepter. Alors, petit à petit, je me mis à froncer les sourcils en serrant fortement les poings. Non seulement le papier fut froissé, mais en plus mes ongles commencèrent à lacérer mes paumes. Ce fut au point que je ne fis plus du tout attention à mon environnement, ce qui pour un assassin n’était qu’une erreur fatale.

Une voix. L’entendre alors que je ne m’y attendais pas me crispa encore un peu plus. Je m’attendais au retour de Mao, l’arrivée d’un adulte voulant me demander de sortir du bâtiment ou un élève agacé. Rien de tout cela n’était la vérité. Lorsqu’on me demanda si j’allais bien, je sus de qui il s’agissait. Sa voix me faisait peur, mais clairement pas pour les mêmes raisons. Elle m’avait fait perdre la raison une semaine auparavant. Elle ne m’avait pas écouté quand je lui avais demandé de fuir. Alors, lorsque je levai les yeux sur Ellia, ce fut pour la regarder durement. Pourquoi ne m’avait-elle pas écouté ? Était-elle donc suicidaire ?Quoique je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir : c’était sa vie et elle avait peut-être eu quelques empêchements. N’empêche que…

Il se souvint des mots de son mots et il ne sut comment réagir. Sérieusement, l’occasion semblait presque donnée. Mais l’endroit n’était pas correct. Trop de monde, trop de témoins… Il avait donc le choix entre l’éloigner dans un coin sombre et prendre le risque que quelqu’un le désigne comme étant le coupable. Ou bien il pouvait la laisser pour cette fois et guetter la prochaine occasion. La seconde option lui plaisait plus. Ainsi il pourrait imaginer longuement cette fillette trembler de peur devant ce qui l’attendait.

Encore. “Il” était encore revenu. Pourquoi ?! Ce n’était pas normal. J’étais dangereux. Il fallait donc que je m’éloigne d’elle et tous les autres le plus rapidement possible. Fuir le pays, la mafia, ne me semblait plus être une option acceptable. J’étais beaucoup trop dangereux et instable pour ça. Mon espoir pourrait devenir beaucoup trop rapidement un nouveau désespoir inutile. Mais par trois fois on ne m’avait pas laissé mourir. Il ne me restait plus qu’une option concernant cette fille envers qui j’avais l’impression d’avoir une dette : lui faire suffisamment peur pour qu’elle s’en aille ! Et pas seulement de la ville. Du pays !

Très soudainement, silencieusement, je pris le bras que je savais sain de la demoiselle et le la tirai à ma suite à l’extérieur. L’éloigner de Mao. Puis parler. S’il la voyait… Je n’osais pas vraiment imaginer ce qui risquait de se passer si cela venait à arriver. Il fallait donc que je me dépêche de la faire sortir. Ma prise sur son poignet était ferme, presque dure. Mais je n’étais pas en état d’y réfléchir, la peur dictant mes faits et gestes. La logique voulait que je ne lui révèle pas qu’elle était en danger. Je ne le pouvais pas. J’avais au moins une dette de vie envers elle. Il fallait que je la tienne. N’était-ce pas normal ?

Je ne sus combien de temps il me fallut pour emmener la demoiselle derrière le bâtiment. Mais lorsque nous y fûmes, je la mis dos au mur en restant face à elle. Mes mains étaient de nouveau le long de mon corps. Je ne voulais pas lui faire peur en la gardant plaquée contre le bâtiment. Quoique cela aurait pu la faire fuir en contrepartie de ma crédibilité. Enfin… en avais-je déjà eu une ? J’en doutais. Après tout, je n’étais qu’un menteur qui ne se faisait que des illusions sur une pseudo liberté qui n’était pas sienne. Néanmoins, je la regardai avec dureté.

- Pourquoi es-tu là ?

Ma voix était froide, presque menaçante. Mais mon attitude montrait une tension nerveuse plus que ce que représentaient mes intonations. En gros, je ne parvenais pas à savoir s’il fallait que je l’effraie ou non. Ou, plus exactement, j’étais partagé entre les deux. Je ne voulais pas la tuer.
Son ordre était de la tuer.
J’en avais marre de cette vie…
L’assassinat pour le compte de la mafia était la seule vie qu’il connaissait.
Elle n’avait rien à voir avec moi, elle était innocente.
Elle était un témoin dont il fallait se débarrasser. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il n’y ait un contrat sur sa tête.

Me sentant aussi troublé que dangereux, je me détournai partiellement sans parvenir à cacher mes états d’âmes. Extérieurement, je pouvais être prit d’une rage soudaine qui me donnait envie de frapper quiconque irait à mon encontre. Mais il n’en était rien. Je m’en voulais à moi-même. Je me détestais et voulais disparaître sans qu’on m’en laisse la possibilité.

- Tu aurais dû fuir tant qu’il était encore temps, finis-je par continuer d’une voix lourde et ferme.

Si elle l’avait fait, elle ne serait pas en danger. Elle ne serait pas menacée par ma faux. Nous étions devenus ennemis sans que je sache réellement comment cela avait bien pu arriver. Je n’aimais pas cela mais n’avait pas le choix. Est-ce que comprendre pourquoi elle n’était pas partie allait m’aider. Non. Bien sûr que non. Cela ne changerait absolument rien. Alors pourquoi en ressentais-je le besoin ? Pourquoi voulais-je la protéger à tous prix ? Ma dette mise à part, n’était-elle pas comme tous les autres ? Non… Elle, je la connaissais un peu. Elle était de ce qui se rapprochait le plus de la définition d’une “amie” selon Haley. C’est pour ça, que je voulais la protéger. Et le comprendre me rendait la tâche encore plus difficile.
Il s’en fichait bien de tout ça.
Je ne pouvais pas l’abandonner...

Elle avait semblé vouloir répondre à ma première question, mais ne l’avait pas fait. N’étant pas très apte à surveiller ses réactions, sur le coup, je ne le remarquai qu’après coup. Elle m’avait alors demandé les raisons pour lesquelles il fallait qu’il fuit. Ou plutôt ce qu’elle devait fuir. Fallait-il vraiment que je lui fasse un dessin ? Qu’elle ait quelques difficultés à croire que je sois capable de lui faire du mal… c’était très difficile à croire. Après tout, j’avais apparemment perdu les plombs devant ses yeux. Devais-je lui rappeler ces deux mecs allongés sur le sol, dont l’un avait le nez cassé ? Ces brutes qui lui avaient fait du mal. Je pouvais faire pire. Non… J’avais ordre de faire pire ! Et si elle était encore en ville, j’allais être dans l’obligation de répondre à cet ordre ! Je ne le voulais pas.

Je sentais le morceaux de papier entre mes doigts. Mes ongles me lacéraient toujours plus la peau alors que je cherchais un moyen de répondre à la demoiselle sans lui dire qui j’étais. Il ne fallait pas que je compromette ma mission. Mais je ne pouvais pas lui faire du mal.

*J’suis vraiment trop con… Je me suis attaché, encore une fois… Mais quel con !*

Il n’avait aucun hésitation à avoir. En plus, comme il n’y avait finalement personne, il pouvait la tuer comme ça, sur un coup de tête. Il y avait pas mal de moyens de le faire sachant que personne ne semblait au courant qu’ils étaient là. Alors qu’est-ce qui l’en empêchait ? Pourquoi n’y arrivait-il pas ?

Encore ! J’étais encore en train de perdre la raison ! Non. Il fallait que je me calme. Respirer calmement et essayer de parler calmement pour éviter de faire une connerie. J’allais de toute façon regretter ce que j’allais faire, quel que soit mon choix. Je le savais. Doucement, je pris une inspiration en fermant les yeux. Profondément. Longuement. Puis, de la même façon, je soupirai en plantant à nouveau mes yeux dans ceux de la personne en face de moi. Je restai encore un instant silencieux avant de lui répondre enfin :

- Qu’est-ce que tu comprends pas dans ce que je t’ai dit la dernière fois ? Fuir un tueur ne te suffit pas ? Ou faut-il que je mette ta vie en danger pour que tu comprenne ?!

La menacer était la seule idée qui m’était venue à l’esprit. Mais après quoi ? Si elle ne fuyait toujours pas, que ferais-je ? Et si elle le faisait… qu’allais-je dire à Mao. Rien que d’y penser j’avais bien des difficultés à rester stoïque et froid. Heureusement, j’y parvins un peu en me concentrant sur elle, en la regardant.

Elle était réellement assurée, pas comme lorsque je l’avais plaquée sur le mur pour lui demander ce qu’elle faisait là. Ca aussi, cela finit par m’effrayer aussi. Mais pas pour moi. Pour elle.
Il allait finir par lui tordre le cou pour avoir la satisfaction de lui retirer cette assurance.
Je ne voulais pas lui faire du mal et si elle restait… c’était ce qui allait arriver avant même que je puisse m’arrêter ou me raisonner…

Un instant. Rien qu’un instant. Peut-être fusse le même temps que celui que j’avais prit pour lui parler. Mais elle me répondit dans un calme que je ne pensais personne capable dans ce genre de cas. Un calme qui n’avait rien de la froideur que j’utilisais. C’était comme si elle voyait dans mon jeu et ma peur reprit de plus belle. Elle disait ne pas avoir peur de moi. Elle prétendait que ce serait toujours le cas. Pourquoi ? Elle avait un tueur, un assassin devant ses yeux. Comment pouvait-elle croire en moi alors qu’elle ne me connaissait pratiquement pas. J’avais envie de lui dire à quel point je me faisais peur, que même si cela ne venait pas de moi, elle était tout de même en danger. Mais je n’osais pas. C’était nous mettre encore plus en danger, elle et moi.

- Je-…

Pas moyen. Je n’y parvenais pas. Les mots ne sortaient pas à cause de la part de terreur que Mao provoquait en moi. Sans compter qu’après son petit temps de silence, elle reprit en coupant en moi toute envie de parler. Surtout pour lui révéler ce qui me rendait si dangereux. Je ne pouvais pas faire ça. Pas plus que je ne l’avais déjà fait. L’épée de Damoclès qui se trouvait au-dessus de ma tête me menaçait plus qu’auparavant. Je sentais son ombre sur ma tête et j’avais l’impression qu’à cause de mes conneries je ne pourrais pas avoir le droit à une mort libératrice.

Cette fille n’était pas une menace. Pourtant, elle semblait plus imposante que moi en cet instant. J’étais plus grand qu’elle mais j’avais l’impression d’être bien plus petit qu’elle. Une fissure se créa dans mon armure. Ou plutôt devrais-je dire que ce jour-là elle l’avait créée et aujourd’hui cela s’agrandissait au point que je la ressentais enfin. Je n’allais pas tenir face à elle. Il fallait que fuis ! Mais j’étais bloqué. Je n’y parvenais pas comme la fois précédente. Cette fois, je voulais être sûr qu’elle aurait l’intention de quitter le pays une fois que je lui aurais tourné le dos. Je ne voulais pas que ma faux la rencontre…

- Qu'est-ce que tu y gagnes, toi ?

- Pardon ?

Ce fut la première réaction que j’eus lorsqu’elle me posa cette question. Je ne comprenais pas comment elle pouvait penser à moi alors que sa vie était en jeu. Et de façon plus directe que la mienne en plus ! Pourtant, elle restait bloquée sur ma sécurité, mettant la sienne de côté. … Pourquoi ? Elle n’allait qu’en sortir blessée. C’est tout…

Sans que je sache que cela puisse être possible, mon poing se serra encore plus sur le morceau de papier qui rougissait lentement. Les sourcils froncés, je détournai mon regard sur ma main sur le mur, à côté de sa tête. Je ne pouvais pas rester comme ça. Pourtant… Non. Je ne pouvais pas me relever non plus. Je me perdais…

Il fallait qu’il mette un terme à sa vie sinon il n’aurait plus jamais d’occasion. Il le sentait. Mais comment s’y prendre alors qu’elle était plus alerte. Sa chance était-elle déjà passée ? Non ! Il ne fallait pas !

Merde… Mes absences se faisaient plus présentes…
Sans perdre plus de temps, je la regardai à nouveau, les yeux brillants de larmes de détresse mais la voix glaciale :

- Le sang d’une personne en moins sur mes mains. Le tien.

C’était la seul réponse que je parvins à lui donner. Pourtant, je voulais encore lui demander si ça lui suffisait comme réponse, si cela allait lui donner une raison pour me fuir. … Maintenant qu’elle savait, elle allait arrêter de vouloir rester avec moi, non ?

Cette fois, il semblait qu’elle comprenait un peu mieux ce qui pesait sur ses épaules. Elle comprenait enfin que sa vie était en danger. Aurais-je dû lui dire cash dès le début ? Je me voyais mal le faire en prenant le risque qu’on me voit tel que j’étais dans toute l’école. Mao me le pardonnerait sans doute pas du tout. Repartir dans une roue infernale faite de tortures était vraiment la dernière chose que je voulais. En même temps, qui aimerait souffrir de cette façon, que ce soit moralement ou physiquement. Que dis-je ? Qui aimerait souffrir, tout simplement ?

Malheureusement, même si elle avait sans doute compris qu’elle était en danger et que cela venait de moi, ce ne fut pas suffisant pour qu’elle lâche l’affaire et fui. Au lieu de cela, elle se mit à creuser plus profondément en mon cœur pour trouver le fond du problème. Pourquoi ?! N’importe qui aurait lâché le morceau et fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver sa peau. Mais pas elle. Cela signifiait-il que j’allais devoir la tuer ? J’allais finalement devoir avoir son sang sur les mains ? La énième victime dans ma liste interminable ?

Le silence se faisant après qu’elle eut terminé de poser ses questions, je la regardai en grimaçant, mécontent voire un poil déçu comment pouvais-je lui faire comprendre, la faire lâcher prise, sans qu’elle ne cherche à discuter plus encore ? Lui parler de moi ne fera que l’inverse. Je le savais. Je m’en doutais. Après tout, malgré ma vie de tueur, je voulais autre chose. Je souffrais et cette fille ne pouvait pas laisser les autres en le sachant. Elle me l’avait prouvé à plusieurs reprises depuis notre première rencontre et elle continuait encore maintenant. Pourquoi me trouvais-je toujours au pied du mur ? Pourquoi ne pouvais-je pas être… différent ?

-Je n’ai surtout pas le choix, répondis-je finalement en me relevant doucement pour m’éloigner d’elle. Je suis un chien en laisse et mon maître m’a ordonné de mettre fin à tes jour. Tu pensais quoi ? Que je te dirais de fuir sans raison ? On voit que tu me connais pas.

En vérité, il était même probable qu'elle ne le sache pas elle-même. Nous ne nous connaissions que très peu alors comment pourrions-nous attendre quoi que ce soit de l’un ou l’autre ?

Soupirant par le nez pour essayer de rester calme tout en surveillant mes moments d’absences, je passai une main dans mes cheveux. Ce geste libéra mon visage de toute mèche qui le cachait habituellement sans que je fasse attention, dévoilant les morceaux de ma cicatrice que mon bandeau ne cachait pas. Je n’avais pas oublié la demoiselle (comment le pourrais-je ?) mais je ne savais pas quoi faire de mes mains. Mis à part celle qui tenait toujours mon ordre, l’autre était plus ballante qu’autre chose maintenant qu’elle avait quitter le mur. Je n’aimais pas être comme ça… Je n’aimais pas me sentir aussi acculé alors que je voulais mettre en garde une personne qui finalement s’inquiétait plus pour moi que pour elle.

Je n’osais plus la regarder. Impssible. J’étais faible et j’avais l’impression que jouer les durs ne me réussissait clairement pas. Pourtant, je savais qu’il fallait que je réussisse à la convaincre. Malheureusement, elle ne me laissait aucun espoir d’entrevoir cette chance. Si seulement j’en voyais la possibilité. Si seulement je pouvais avoir la chance de pouvoir envisager de ne pas avoir à la tuer. Mais cela semblait réellement impossible et j’en avais assez. Pourquoi n’étais-je pas mort ce jour-là ? Pourquoi mon suicide n’avait pas fonctionné ?

Ses paroles m’obligèrent cependant à la regarder dans les yeux. Elle s’était relevée et se tenait droite, sûre d’elle et… fière. Je ne lui arrivais pas à la cheville. Clairement pas… Mais, d’un autre côté, comment un moins que rien comme moi pouvait-il atteindre une princesse ? Non. Ce n’était pas possible. Du coup, ses paroles me claquèrent encore plus qu’elles auraient dû. Me libérer ? Non… Ce n’était pas possible. Même en m’en allant, des personnes allaient en pâtir, j’en étais persuadé. Non. Non. Non !

Pâle, je la regardai sans savoir quoi penser ou lui dire. Après tout… Etait-elle sérieuse ? Déjà, je venais de passer le sujet, mais il était impossible que je me détache de la mafia. Je pensais beaucoup trop aux autres et… je ne pouvais pas envisager de quitter mon bourreau car j’en avais peur. Tout simplement. Alors partir avec elle… Cela me semblait tellement impossible, tellement… dangereux. Mais cette condition n’était pas discutable. Cela se voyait. Que dire ? Que faire ? … Que répondre ?

Lâchant mes cheveux qui retombèrent sur mes yeux, je la lâchai du regard en soupirant. Au pied du mur. Voilà où je me trouvais. Toujours. C’était énervant mais, surtout, désespérant. En plus, Mao n’allait pas rester chez le directeur indéfiniment, je ne pouvais pas prendre le risque qu’il nous entende parler. Ou, plus précisément, qu’il me voit discuter avec elle alors que je devais la tuer. Il n’était pas con et me connaissait assez bien pour savoir comment je fonctionnais. Du coup, je lui dis doucement en commençant à aller vers les bâtiments abandonnés :

- Allons discuter ailleurs. Suis-moi.

Je ne savais pas du tout si elle allait le faire lorsque je m’étais mis en route. Mais elle le fit. Inconscience ou débordement de confiance ? J’en avais un peu marre de me poser cette question qui ne trouvait aucune réponse tant les deux la mettaient de toute façon en danger. C’était pénible. … Quoique le mot n’était pas très adapté à ce que je pensais réellement.

Marchant normalement, faisant comme si la jeune femme n’était pas sensée me suivre au cas où mon chef me verrait, j’allais dans les bâtiments abandonnés, dans la partie la plus éloignée possible de toute oreille qui pourrait traîner. J’allais même jusqu’à laisser deux minutes Ellia seule dans une salle avant de vérifier le bâtiment entier avant de retourner vers elle.

Il avait profité de cette vérification pour imaginer ce qu’il allait pouvoir faire dans cette situation. Tout était possible ici. Lui briser simplement le cou. Maquiller l’assassinat en suicide… Tant de possibilités qu’il avait envie de tenter. Il lui fallait juste le bon moment maintenant.

Je n’étais pas certain que l’amener là soit une très très bonne idée en vérité. Mais je n’avais pas le choix. J’avais appris à avoir peur de mes moments d’absence. Déjà, parce qu’à chaque fois j’avais du sang sur les mains et un cadavre sous les yeux. Mais également… parce que je les avais eu pendant les tortures alors que je souffrais trop ou que je ne supportais plus moralement. Je ne savais pas comment l’interpréter et j’en avais terriblement peur.

En retournant auprès de la demoiselle, je fermai la porte et lui dis en soupirant, comme si une petite partie du poids que j’avais sur les épaules venait de s’en aller :

- Maintenant que nous sommes seuls, il faut que tu saches une chose : je ne peux pas partir comme ça. Si je viens à disparaître, je vais avoir tout autant de mort sur la conscience que si je restais parce qu’on va me chercher et que ça se fera pas dans le douceur. Tu vois c’que je veux dire ?

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle comprenne ou qu’elle accepte ce que je venais de dire, mais il fallait que ce soit dit. Tout simplement.

Si je ne m’attendais pas à ce qu’elle comprenne ou accepte ce que je voulais dire, je ne m’attendais pas non plus à ce qu’elle réfléchisse aussi rapidement. Nous parlions tout de même de toute la ville de Hoshi qui pourrait connaître un nouvel incendie meurtrier si je venais à disparaître. Quoique… La mafia savait se faire discrète même si elle était capable de mettre toute la ville voire plus à feu et à sang juste pour se protéger. Pour protéger ses secrets. Je n’en possédais pas énormément, mais assez pour qu’elle me considère comme un danger si je venais à disparaître. … Finalement, j’en revenais toujours au même point : pourquoi ne m’avait-on pas laissé mourir ? J’aurais arrêté de souffrir, que ce soit directement ou indirectement.

En réponse à ce que je venais de lui dire, la jeune femme me dit quelque chose voulant dire qu’il fallait que je pense à moi avant les autres. En effet, je n’avais aucune garantie que mon départ tuerait qui que ce soit. Mais connaissant la mafia comme je la connaissais, je pouvais en être sûr. Et pouvait-on parler du fait qu’ils voudraient me tuer, ceux qui m’auraient aidé d’une quelconque façon, et leur entourage ? Je ne voulais pas avoir de faux espoirs. Pour ma santé mentale, je devais rester lucide et les deux pieds sur terre. Je n’avais pas le droit de rêver. Ces derniers mois m’avaient appris ça… Je ne pouvais pas penser à moi. Je ne pouvais pas penser à avoir une vie normale. Je ne pouvais pas.

Mes doigts dans les siens ne m’aidaient pas. Ils étaient chauds tandis que les miens avaient la froideur de la mort. La même mort qui n’avait pas voulu me prendre avec elle mais qui ne cessait de me séparer de toutes les personnes qui m’approchaient.  Je soupirai donc et me séparai d’elle en essayant de garder le peu de contenance qu’il me restait. Et, en allant vers les fenêtre à moitié brisées, je lui répondis sans la regarder :

- Je ne peux pas avoir la vie normale que tu veux me faire avoir. Je ne peux pas… Sérieusement, tu me demandes de te suivre alors que je viens d’abandonner tout espoir d’avoir une vie normale. Tu m’aurais dit ça quelques mois plus tôt, peut-être t’aurais-je suivis. Là, je ne peux plus.

En m’asseyant sur le rebord d’une des fenêtre, je me mis à regarder à l’extérieur. Je me sentais lessivé, totalement dépité. Mais, en même temps, comment ne pouvais-je pas l’être ? J’avais peur de tous les gestes que je faisais et de chaque message que je recevais.

*En fait, à tous les coups, la mafia a tué les jumelles et c’est pour ça que je n’ai plus de nouvelles…* pensai-je tristement.

Je n’avais eu plus aucune nouvelles de ces deux-là depuis leur départ et j’avais cette terrible impression d’avoir été abandonné. Ce n’était pas la première fois que je ressentais cette sensation dévastatrice. Sauf que, la première fois, non seulement la personne était morte depuis longtemps avant que je l’apprenne, mais en plus j’avais tué son assassin. En vérité, je m’étais plongé tout seul dans cet enfer qui était le mien. Maintenant il fallait que je l’assume. Je n’avais pas le droit d’y échapper… Et jamais je ne pourrais être heureux.