Une soirée boulot [Mathieu]

Mathieu était bien conscient que son jeu d’acteur était, disons… mitigé, au mieux. Et Cassy avait dû le comprendre, du moins c’est de cette façon qu’il interprétait son clin d’œil. Il se laissa donc entraîner, tout sourire à travers un dédale de couloirs lumineux, dans une atmosphère qui ne faisait pas du tout série d’horreur. Des personnes travaillaient dans des bureaux, pianotaient sur des ordinateurs, tandis que d’autres se baladaient dans les couloirs.

« Bof, c’est un immeuble de bureau comme un autre… » pensa-t-il, un peu déçu.

Puis Cassy se stoppa devant une grande double porte et fouilla dans son sac. Mathieu haussa un sourcil. Cette porte ne ressemblait absolument pas aux autres, de par sa taille, et son style plus imposant. Cela devait être une pièce sécurisée. Lorsque Mathieu fur entraîné à la suite de Cassy à l’intérieur, il comprit alors qu’il ne s’agissait pas d’une simple pièce.

Il lâcha un « Ouah... » de surprise lorsque les lumières s’allumèrent, et il reconnut certaines maisons, certains éléments du décor. Il écouta les explications de la star, avant de hocher la tête, plus préoccupé par le fait de jouer à retrouver des éléments familiers qu’à commenter son avancée dans la série.

Puis, au bout de quelques dizaines de secondes à scruter l’espèce d’entrepôt, Mathieu se retourna, cherchant son amie :

« La vache, ça déchire ! J’voyais pas ça aussi grand mais… Cassy ? Caaassyyyy ? Hey, t’es où ? »

Un nouveau silence lui répondit. Il fit un rapide tour de lui même pour scruter les recoins de l’immense pièce. Un frisson lui parcourut rapidement la nuque, à mesure qu’il posait son regard sur des éléments macabres du décor. D’autant plus qu’il se souvenait des scènes plus ou moins glauques qui s’y passaient. Il pesta et murmura entre ses dents :

« Putain, si jamais on me trouve ici sans badge j’vais me faire tuer… Elle est partie où sérieusement ? »

Perdu pour perdu, il pensa qu’elle lui avait fait une plaisanterie. Il s’engouffra alors dans le décor, cherchant un indice sur la position de la jeune femme. Il entra d’abord dans une espèce de petite habitation en tôle qui faisait office d’infirmerie de fortune dans la série. Il appela Cassy d’une voix faible, étouffée, comme si le lieux maculé de faux sang l’oppressait. Il s’apprêtait presque à voir surgir en face de lui un mort-vivant au corps déchiqueté et sanguinolent. Il tenta d’ouvrir un placard qui grinça d’une manière bien trop stressante pour qu’il y jette un œil. Sans oser crier, il se rua alors vers la sortie, cherchant du regard une autre possible cachette. Il avait cru entendre quelque chose dans sa courte fuite, mais il était incapable de localiser l’origine de ce son.

Après avoir soufflé quelques instants, il contourna cette maison et prenant bien soin de raser les murs, même si cela le rendait encore plus suspect. Il aperçut alors la maison du personnage de Cassy à quelques mètres de là, près du fond vert. Finalement, elle paraissait plus petite que dans ses souvenirs. Après avoir lancé un rapide regard autour de lui, il reprit sa course vers la porte d’entrée. Il courait d’une façon assez ridicule, à moitié paniqué, à moitié sur la pointe des pieds pour tenter de faire le moins de bruit possible. Il arriva enfin devant la porte, qui était déjà entrouverte. Il la poussa lentement, sans un bruit, quand soudain il aperçut une énorme barre de fer qui s’était tournée dans sa direction, ainsi qu’un fusil d’assaut posé au sol. Il ne put réprimer un cri :

« YAAAAH ! DÉSOLÉ, J’ME SUIS PERD… »

« J’ai cru que tu t’étais perdu. »

Mathieu avait bondi en arrière sur le palier, et fixait désormais Cassy, interloqué. Elle paraissait parfaitement calme, à l’inverse de lui. Il bégaya quelques onomatopées, puis pointa la batte de base-ball du doigt :

« T-Tu… Tu peux poser ça s’te plaît ? Tu étais passée où ? Je me suis retourné et tu étais plus là… J’ai eu peur de me faire choper, vu que j’ai pas de badge ni rien, alors je t’ai cherchée… Mais je m’attendais pas à te voir… comme ça. »

Puis il se rendit compte qu’il était enfin en sécurité et entra à nouveau dans la maison, d’un pas hésitant, et se mit à observer le mobilier, les murs, les fenêtres, tout ce avec quoi il était devenu familier au fil de la saison. Mais finalement, le plus cocasse dans cette situation, c’était de voir une Cassy habillée normalement, et pas dans son rôle de survivante.

Mathieu hocha doucement la tête lorsque Cassy posa son arme. Il ne savait pas si elle était factice, mais le bruit qu’elle fit en heurtant le sol lui confirma qu’il s’agissait bien d’une véritable barre de fer. Il déglutit en pensant aux cascadeurs qui portaient les costumes de zombies. « Ces mecs doivent être sacrément entraînés », pensa-t-il.

Puis il continua son exploration de la maison. Il n’osait pas s’aventurer trop profondément dans les pièces, ni déplacer les éléments du décor de peut de se faire sermonner. Mais il regardait les recoins qu’il connaissait déjà presque par cœur avec des yeux d’enfants. Il sentit alors une présence chaude et réconfortante se coller à son dos, et une petite voix parvint à ses oreilles :

« On pourrait limite jouer une scène ici...les deux survivants qui se retrouvent après des mois à se croire mort l'un l'autre »

Mathieu réfléchit au sens de ses mots. Elle avait parfaitement raison. Lui la croyait partie dans sa vie rêvée de star du cinéma, elle le pensait disparu aussi. Chacun à leur manière, ils avaient perdu à peu près tout ce qui leur importait de plus cher. Et puis ils se retrouvaient là, seuls, dans cette reconstitution d’un camp de survivants. Mathieu frissonna lorsque la jeune femme vint lui effleurer la peau du cou de ses lèvres. Il sourit, même si elle ne pouvait pas le voir. Mais il trouvait cela vraiment mignon. Alors qu’il se tournait, Cassy engouffra ses mains dans les poches de son pantalon et continua :

« Tu m'embrasses ? Je... J'aime bien quand tu le fais, j'adore quand me serre contre toi »

Encore un peu pudique, il lui baisa tendrement le haut du cuir chevelu, ne sachant pas s’il avait encore un accès libre à des lèvres qui valaient certainement des centaines de milliers d’euros. Mathieu se fichait du prix, mais il se doutait bien que le manager de la star avait fait assurer sa poule aux œufs d’or afin que rien ne lui arrive. Mais il sentit que son amie se détendait, ses bras s’enroulaient de façon plus naturelle contre son corps. Le garçon fit quelques pas en arrière, de façon à s’adosser au mur. Il entendit alors :

« Je pourrais rester ici avec toi pendant des heures. »

Suivi, quelques secondes après, d’un jeu d’acteur digne des plus grandes comédies romantiques, les joues rosées et un regard irrésistible braqué vers ses pupilles :

« Alors ? Tu veux pas m'embrasser ? Je ne suis pas à ton goût ? »

Mathieu soupira en pensant à la vulnérabilité des hommes. Il ne comprenait pas comment ils avaient pu écarter les femmes du pouvoir aussi longtemps alors qu’elles pouvaient convaincre n’importe qui d’un regard perçant. Il avait déjà été convaincu depuis longtemps, mais elle ne lui avait même pas laissé le temps de poser ses lèvres sur celles de Cassy. Il s’exécuta alors en posant doucement ses mains sur les joues roses et chaudes de la jeune fille et en l’attirant tendrement encore plus à lui. Il l’embrassa alors longtemps, profitant de chaque seconde, et tentant d’infiltrer sa langue parmi les dents de la star, tentant de mettre en place un ballet entre leurs deux langues.

Quand enfin vint le moment de se séparer, Mathieu plongea avec allégresse ses yeux dans ceux de Cassy. Il ressentait l’exacte même sensation que dans la cabine, mais il était plus confiant, moins indécis. Une petite voix dans sa tête sautait de joie, mais il se contenta de sourire. Ah, sourire, enfin il pouvait dégager un sourire sincère. Cela faisait du bien, et au corps, et au cœur.

« Pas à mon goût ? J’te préfère en brune qu’en blonde, tu rigoles. Et en Cassy plutôt qu’en survivante… »

Puis il la prit dans ses bras et enfouit son visage dans son cou et ses cheveux. Il voulait juste profiter, pour se persuader lui-même que ce qui arrivait était véridique. Encore une fois, il souriait niaisement, mais elle ne pouvait pas le voir. Même s’il n’avait pas eu à vivre les mêmes épreuves qu’elle, elle n’imaginait pas à quel point il se sentait revivre, au contact d’un autre être humain. Et quel contact, quel être humain pour Mathieu…

Quelques minutes passèrent, puis Mathieu fut gêné par quelques cheveux qui lui chatouillaient le nez, et il se décida, un peu malgré lui, à laisser la jeune femme s’échapper. Enfin, pas totalement, il garda sa main dans la sienne. D’un mouvement de tête, il plaisanta :

« Je garde ta main, des fois que tu aurais envie de reprendre une arme... »

Il ricana tout seul à sa propre blague. Elle n’avait rien de spécialement drôle, mais il se sentait tout simplement euphorique. Il retrouvait les sensations que lui procuraient l’alcool dans les bars, mais de façon encore plus forte. Il sentait de la chaleur parcourir son corps, mais il savait qu’il ne risquait rien, au contraire.

« A moins que tu ne veuilles qu’on tourne une scène dans laquelle je vais très mal jouer, je crois me souvenir que tu avais du travail non ? Si tu veux, je peux peut-être t’aider ! »

Proposition débile, mais tout de même enjouée. Qu’y connaissait-il en montage, en audio, en jeu d’acteur, en cadrage, en lumière, lui qui n’avait pas encore son bac. Dans tous les cas, il l’aiderait s’il le pouvait, et il ferait ce qu’elle lui dit de faire. Il ne savait même pas s’il était autorisé à voir ce sur quoi Cassy devait travailler. Mais il s’en fichait, et voulait simplement laisser cette journée perdurer, encore et encore…

Le jeune homme avait rit un peu plus franchement lorsque Cassy lui avait rétorqué qu’elle souhaitait prendre une arme au sol. Il ne savait pas si elles étaient factices ou non, si elles étaient chargées ou non… Et il voulait à tous prix éviter d’avoir à le découvrir. Dans tous les cas, il aperçut l’actrice soupirer fortement lorsqu’il lui rappela ses obligations professionnelles. Il sourit en se disant qu’elle non plus ne voulait pas rompre ce moment. Mais il s’imaginait bien qu’elle ne pouvait pas s’absenter de son travail très longtemps.

Mathieu suivit alors Cassy, qui l’emmenait hors de la maison et hors du studio. Tout en marchant, il fronça les sourcils lorsque la jeune femme passa commande. Il ne fit aucune réflexion puisqu’il ne voulait pas l’empêcher de manger ce qu’elle voulait, mais il n’allait pas ingurgiter de sushis. Tout au plus, il picorerait quelques grains de riz, et il trouverait forcément quelque chose à grignoter à Indarë, en rentrant. Il soupira en baissant la tête, en se souvenant du goût inimitable du saumon, du thon, et autres poissons qu’il avait dégusté dans son enfance. Son regard vint se perdre sur les formes séduisantes de Cassy qui marchait devant lui, et il oublia vite ses tribulations alimentaires.

Elle fit entrer Mathieu dans une pièce relativement sombre, bourrée d’appareils électroniques, de boutons et d’écrans. L’adolescent se souvint qu’il avait casé sa tirelire pour s’acheter un ordinateur avant de venir en Angleterre, et il n’osait même pas imaginer la valeur de tout ce matériel informatique. Il vit Cassy prendre place naturellement en face d’une grande console, et y insérer presque machinalement une clé USB. Lui s’installa plus doucement, prenant garde à ne pas appuyer par mégarde sur un bouton qui traînait par là.

Mathieu laissa donc l’actrice travailler, et hocha la tête lorsqu’elle le mit en garde. Il avait déjà vu son personnage dans des situations complexes, alors il ne pensait pas être sensible à ça. L’excitation le gagna lorsque la scène de combat s’afficha sur les écrans. La scène apparut sans contexte, et il ne pouvait donc pas être spoilé.  Ensuite, le dialogue entre Hans et Cassy fit froncer les sourcils de Mathieu. Il savait qu’il s’agissait de fiction, mais le fait de voir celle à qui il avait enfin réussi à avouer ses sentiments quelques heures auparavant se faire draguer par un garçon plus grand et objectivement plus attirant que lui, cela le mettait mal à l’aise. Il se crispa un peu sur sa chaise, de manière presque imperceptible. Puis Cassy se tourna vers lui et le mit en garde par rapport à la troisième scène. Mathieu tenta de prendre un air sûr de lui, et posa son pied sur son genou, pour se mettre à l’aise, tout en posant le sac de nourriture à côté de la star :

« Hey, t’inquiète pas, je t’ai déjà vue dans des situations compliquées. C’est pas ça qui va... »

Il se stoppa net et écarquilla les yeux. Devant ses yeux, le personnage de Cassy était en train d’entamer un rapprochement plus qu’explicite avec celui de Hans. Elle coupa le son de la scène, mais il pouvait encore voir la peau dénudée de son amie être palpée et caressée par quelqu’un d’autre que lui. Il serra les dents et détourna les yeux, jaloux. Et rempli de haine envers Hans, qui devait bien profiter de la situation… Lorsque Cassy s’excusa et lui proposa de s’en aller, Mathieu soupira en sifflant entre ses dents et sa mâchoire crispée.

« Non, ça ira. C’est que de la fiction après tout… Et puis, la scène est bien faite, la lumière est bien et... »

Sa mauvaise foi transpirait dans ses mots. Il voulait sortir, parce que ce n’était pas son monde à lui. Ces scènes où personnage et acteur sont dissociés, et où la personne jouant le rôle est mise de côté pour incarner un personnage. Mais Mathieu, lui, voyait la fille qu’il avait embrassé quinze minutes plus tôt en train de profiter d’un autre homme. Il tenta de se reprendre :

« Bon, après, c’est pas la scène que je préfère, j’t’avoue… Tu comprends pourquoi. Faut que je m’habitue, c’est tout. Avant ça me faisait pas ça mais maintenant… C’est différent. Mais ça va aller, t’inquiète pas pour moi... »

Au fond de lui, une pulsion voulait attraper Hans par le col, le soulever et l’envoyer bouler à l’autre bout du décors. Il savait qu’il n’avait aucune chance en un contre un contre lui, mais il s’imaginait en mâle alpha, défendant ce territoire si cher à ses yeux.

Puis vint la scène de torture. Mathieu jeta quelques coups d’œil, sans le vouloir. Mais il y avait des écrans partout, et il était difficile de voir ailleurs. Cette fois, il grinça des dents. Les effets spéciaux étaient bien faits, et la douleur était rendue de façon très fidèle. Le jeune homme chercha machinalement un moyen de faire autre chose, de penser à autre chose, et plongea sa main dans le sac de nourriture. Nerveusement, il en porta un à sa bouche, puis deux, puis trois. Soudain, alors que la scène semblait toucher à sa fin, Mathieu écarquilla à nouveau les yeux, et recracha les sushis au sol, et quelques débris arrivèrent sur la console, tandis que des grains de riz se coinçaient dans sa gorge, provoquant une toux.

Mathieu recula sa chaise roulante et se plia en deux pour tenter de faire sortir le grain de riz diabolique qui lui chatouillait l’œsophage. Quand il arriva enfin à le déloger, les yeux humides, il se redressa et se tourna vers Cassy, en s’éclaircissant la voix :

« Hm-Hmm… Ah… J’suis désolé Cassy mais… J’avais oublié que c’était du poisson… J’dois pas en manger, mais j’ai pas fait gaffe pendant que je regardais… Ca m’a perturbé… »

Penaud, il se lança ensuite à la recherche des morceaux de nourriture qu’il avait recraché. Puis, comme pour tenter de détendre l’atmosphère devenue lourde avec la diffusion de la séance de torture la plus horrible qu’il ait eu à voir de sa vie :

« Au moins, si ça peut te rassurer, j’l’ai trouvée hyper réussie la dernière scène… J’ai vraiment eu peur pour toi, mais heureusement, t’as l’air d’aller bien ! »

Une petite larme commençait à perler dans le coin de l’œil droit du garçon. Décidément, ce grain de riz avait trouvé pile le bon endroit pour le faire se tordre de toux. Mathieu se sentait gêné d’avoir interrompu Cassy dans son travail, d’autant plus qu’il venait de briser toute l’immersion qu’elle pouvait avoir. Il regarda alors la jeune femme fouiller dans le sac en papier et en sortir une boîte de produits entièrement végétaux.

Dans un silence coupable, Mathieu prit la boîte et murmura un petit « Euh… Merci, c’est trop gentil... » avant de se mettre à picorer quelques morceaux de nourriture, en faisant attention à bien mâcher pour ne pas se retrouver à nouveau dans une situation ridicule. Il n’avait plus vraiment l’appétit, après ce qu’il avait vu, et sa toux lui avait écorché la gorge. Il sentait une difficulté à avaler les aliments à chaque bouchée, et il laissa finalement la boîte de sushis végans près de lui, au cas où il voudrait continuer à picorer plus tard.

Puis il écouta Cassy d’un air tristounet. Il était partagé sur ce qu’elle lui disait. Il n’était pas si naïf que cela, il savait bien qu’il était loin des canons habituels du mâle alpha, à l’inverse de certaines des anciennes conquêtes de l’actrice. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de se sentir touché dans sa virilité, fierté peu mise en avant mais tout de même présente. Il n’osa pas lui dire que ce n’était pas la scène en elle-même qui le dérangeait, bien qu’elle puisse être choquante, mais bien le fait que c’était sur son corps à elle que paraissaient être appliqués les châtiments. Mais dans sa situation, il avait bien compris qu’il n’avait pas le choix.

D’un hochement de tête, il signifia à Cassy qu’il avait compris. Il se leva lentement et, comme pour s’excuser, déposa un rapide baiser sur le front de la jeune femme. Il sortit alors de la salle, et s’adossa à la porte après l’avoir refermée. Il fixa le bout de ses chaussures pendant quelques secondes, en maudissant la nature de l’avoir fait si peu mâle. Il fixa son bras droit et tenta de bander le biceps, mais il n’aperçut qu’une petite excroissance. Dans un long soupir, il s’avança un peu au hasard dans le couloir, perdu dans ses pensées.

Il se mit alors en quête d’un distributeur ou de toilettes pour aller désaltérer sa gorge rendue sèche par la toux soudaine qui l’avait pris. Il marcha ainsi un peu au hasard, entrouvrant certaines portes pour voir des personnes affairées sur des ordinateurs, certainement des membres de l’équipe technique qui travaillaient d’arrache pied pour boucler la saison dans les temps imposés. Il trouva enfin des toilettes au bout de quelques minutes, et en profita pour se gargariser la gorge.

« Ça apaise peut-être l’irritation », dit-il en français à son reflet dans le miroir en haussant les épaules.

Après s’être désaltéré et, accessoirement, s’être soulagé, il prit le chemin de la sortie des toilettes pour se diriger vers les loges. Sur le chemin, une sorte de gêne prit le garçon, un sentiment légèrement oppressant. Celui d’être observé. Il se retourna par réflexe, mais le couloir faiblement éclairé semblait parfaitement vide. Il secoua la tête, se disant qu’il s’agissait certainement d’un des effets secondaires du poisson qu’il avait ingéré.

« J’suis plus habitué à ce genre de bouffe moi maintenant… » pensa-t-il.

Puis il retrouva enfin la loge de Cassy. La porte n’était pas très différente de celles des autres pièces, et personne n’aurait pu deviner qu’une des actrices pour adolescents les plus rentables du moment avait ses quartiers ici. Mathieu enclencha donc la poignée et entrouvrit la porte, en y passant sa tête pour vérifier que personne n’était là.

Soudain, une pression le saisit par l’arrière du t-shirt et le tira violemment en arrière, ce qui l’étrangla et lui fit heurter le coin de la porte avec l’arrière de son crâne. Dans le même temps, une voix autoritaire fit vibrer ses tympans :

« Oh toi, qu’est-ce que tu fous là, hein ?! T’es qui pour rentrer dans cette pièce ?! »

« Aaah ! »

Mathieu fut emporté par l’élan du bras qui l’avait attrapé, et il tituba avant de tomber à la renverse sur les fesses, dans un bruit relativement étouffé par les mains du jeune homme. Déstabilisé, Mathieu se contenta de marmonner quelques mots vaguement articulés :

« J-Je… ami de Cassy… »

Il massa alors son crâne et la personne l’attrapa par le bras pour le relever et le placer face à elle. Alors, Mathieu reconnut cet homme. Il avait déjà pu le croiser, mais la dernière fois Cassy était intervenue pour lui éviter d’être pulvérisé sur place.

Mathieu resta légèrement étourdi après ce chamboulement inattendu. Il sentait qu’il allait s’en tirer avec une petite bosse sur l’arrière de la tête. Ainsi, s’il avait reconnu Hans, il avait immédiatement fermé les yeux, habitué qu’il était à le voir jouer un survivant qui ne faisait pas dans la dentelle dans la série. Il serra les dents et s’attendit à se prendre une main de l’acteur en pleine figure. Pourtant, c’est seulement sa voix qui vint agresser le jeune homme. Mathieu put sentir une pointe de jalousie dans sa voix. Ou bien peut-être rêvait-il, il n’en savait rien.

Il eut envie de lui rétorquer quelque chose comme « ce qu’elle me trouve ? Bah moi je tabasse pas, des inconnus au hasard, connard ! », mais il avait trop de respect pour l’une de ses idoles. Et puis, une fois de plus, il avait renoncé à le frapper. Mathieu se dit qu’il fallait éviter que ce genre de scènes ne deviennent récurrentes.

Il acquiesça lorsque Hans lui rappela qu’il n’hésiterait pas à se venger s’il faisait du mal à Cassy. Son hochement de tête signifiait clairement que le message avait été reçu. Il l’imaginait parfaitement capable de faire ça.

Mathieu sursauta alors lorsqu’il entendit la voix de Cassy. Il se retourna et aperçu son amie s’interposer, une fois de plus, et lui demander d’aller chercher ses affaires. Il avait bien compris qu’elle cherchait à demander à Hans de se calmer. Aussi fut-il pris d’une envie de lui tirer la langue mais, n’écoutant que son absence de courage, il se contenta d’un regard légèrement moqueur et fila accomplir sa mission. Il n’eut pas le temps de rester seul bien longtemps, puisque Cassy le rejoignit presque aussitôt, et s’adossa à la porte, en prononçant les paroles qu’aucun homme n’aime entendre :

« Math...je crois qu'il faut qu'on parle non ? »

A ces mots, Mathieu grimaça. Il ne savait que trop bien que ce genre de début de conversation signifiait un moment généralement désagréable. Il tenta de décontracter son visage, puis s’assit sur une des chaises de la loge en la tournant vers Cassy et essaya d’accrocher son regard. Il n’était pas stupide, et il savait bien de quoi la jeune femme voulait parler. Il avait aussi compris que ce « il faut qu’on parle » signifiait « Tu as des choses à me dire. ». Il soupira, passa une main dans ses cheveux mauves pour les remettre en place après sa chute, puis s’avança sur sa chaise et posa les coudes sur ses cuisses en joignant les mains :

« Bon, je pense que t’as remarqué que ça m’a… chamboulé tout à l’heure. Ben disons que te voir toi, Cassy, comme ça, alors que je t’avais là, à côté de moi, souriante… Ça fait bizarre. J’imagine que pour toi ça doit être chiant de devoir me supporter à faire des sortes de crises, mais je suis pas habitué à ça…. »

Il détourna le regard quelques secondes, un peu honteux, en tordant et en jouant avec ses doigts. Il se sentait assez mal à l’aise, mais il savait bien qu’il avait fait le plus dur, avouer ses sentiments. Maintenant, il fallait dire ce qui allait, ce qui n’allait pas, pour fonder leur relation sur des bases saines. Mais Mathieu, lui, n’avait jamais fait ça, il n’en avait jamais eu le besoin. Là, il le devait, même s’il s’agissait d’un moment peu agréable.

« Disons que je suis pas de ton monde… Regarde, même Hans voudrait me casser les dents, comme si je n’avais pas le droit d’essayer d’y entrer, dans ce monde. (Il marqua une pause, puis fronça les sourcils) Mais c’est pas lui ou qui que ce soit qui va m’arrêter. Je vais m’y faire, j’ai pas le choix. Enfin non, j’ai choisi de ne pas avoir le choix. »

Il marqua une autre pause. Il aimait bien cette dernière phrase. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, et il se leva et s’approcha un peu de Cassy :

« Enfin, il faut savoir faire des compromis dans un couple (Il sentit un petit frisson parcourir ses bras lorsqu’il prononça ce mot), et ça en fera partie. Abby peut faire ce qu’elle veut. Moi c’est Cassy que je veux, c’est Cassy que je regarde, c’est Cassy que dois retrouver en toi, c’est à Cassy que je me suis ouvert dans la grande roue. Promis. »

Mathieu avait gardé un contact visuel Cassy, et cette dernière s’était elle aussi efforcée de garder ses yeux dans les siens. Il avait le souffle court, un peu comme s’il venait de courir un petit sprint. Il n’était pas habitué à ce genre de déclarations qui enserrent la poitrine et demandent une concentration à toute épreuve pour choisir les bons bots, ceux qui décrivent le plus précisément possibles le fond de notre pensée.

Puis vint le moment de la réaction. D’abord un silence, tandis que l’actrice se rapprochait de lui pour poser ses mains sur ses hanches. Puis une réponse, d’une voix douce et apaisante. A mille lieues de ce que Mathieu avait imaginé de prime abord avec ce « il faut qu’on parle ». Il sentit la chaleur rassurante des doigts de Cassy dans son cou, alors qu’il buvait ses paroles. Il ressentit une forte envie de déposer un baiser sur ces lèvres si proches, mais il ne voulait pas la couper. Ce genre de paroles devaient aussi être difficiles à sortir pour elle, et il ne voulait pas l’interrompre.

Il fut touché par ses confessions. Il était heureux d’être le seul, le seul humain sur cette Terre qui pouvait côtoyer la « vraie » Cassy, pas l’actrice, pas la star, pas le personnage, juste la Cassy à l’état brut, naturelle, avec ses imperfections qui lui étaient des avantages à ses yeux. Il posa ses mains sur les joues de l’actrice et les caressa tendrement avec ses pouces, puis elle enfouit sa tête dans son cou et il put sentir son souffle tiède contre sa peau. Il apprécia ces quelques secondes puis souffla du nez, un peu déçu, lorsque le visage de la jeune femme revint se poster devant le sien.

Mathieu réfléchit quelques secondes à sa situation. Il ne savait pas quelle heure il était exactement, mais le couvre-feu devait approcher à grands pas. Après ses récents coups d’éclat et autres sorties nocturnes il se savait surveillé par certains surveillants d’Indarë, et dormir chez Cassy allait signer son arrêt de mort devant la vie scolaire. Il grimaça, en se disant qu’il aurait dû demander une permission de dormir en dehors du campus, juste au cas où. Puis, résigné, ses épaules s’affaissèrent et il répondit d’un ton tristounet :

« J’aurais adoré dormir avec toi, surtout cette nuit, avec tout ce qui s’est passé aujourd’hui… Mais je vais me faire allumer si je fais ça. Promis, la prochaine fois je demanderais une permission de sortie… Et puis, après mes exams, je serais plus libre, mes parents ont prévu de me payer un petit studio. Donc même si ça me frustre de pas pouvoir passer plus de temps avec toi, je veux bien que tu me ramènes, merci... »

Il suivit ensuite Cassy vers une voiture à l’allure soignée, et au chauffeur bien habillé qui leur ouvrit même la porte. Dans la voiture, Mathieu resta silencieux, le regard dans le vide. Il voulait éviter de pointer son regard sur Cassy encore une fois, de peur de changer d’avis et de vouloir aller chez elle. Il prit néanmoins sa main et la serra affectueusement. Sa tête se posa sur la vitre, il se mit à sourire niaisement. Son regard se portait vers l’horizon, aussi bien qu’on pouvait le voir à travers le dédale de rues et d’immeubles de Londres. Le trajet dura une minute ou une heure, il ne savait pas vraiment. Son esprit vagabondait, ressassant les moments forts de la journée, sautant de la vision du déguisement de Cassy à la vision qu’il avait eu d’elle tenant une arme dans les studios, de la nourriture du parc d’attractions à des souvenirs plus lointains en France.

Lorsque la voiture s’arrêta face à Indarë, Mathieu sursauta, et sortit de sa rêverie. Il porta la main de Cassy sur sa poitrine, et alla déposer un baiser sur ses lèvres. Avant de refermer la portière, il la gratifia d’un ultime clin d’œil, et il ajouta d’un ton enjoué :

« A bientôt, Mme Andrews ! »