Le bureau de principal était un endroit froid, triste, sans émotions et sans couleurs. Sans âme. Rien à voir avec la chambre de Mr. Himpton. Tessa ferma les yeux. Ils n'avaient pas été assez discrets. Mais elle ne s'inquiétait pas. Maintenant que leur amour avait éclaté au grand jour, ils n'auraient plus besoin de le cacher. Ce n'était plus la peine de mentir. Elle se sentait libérée. Elle entra alors qu'il sortait de la pièce et lui offrit un sourire tendre, auquel il retourna un regard rassurant. Tout allait bien se passer.
- Miss Buchanan.
La jeune fille s'assit sur la chaise inconfortable, préférant se remémorer avec un sourire nostalgique les longues soirées passes sur le canapé, avec lui à ses côtés.
- Vous savez pourquoi je vous ai convoquée ?
- Oui, pour Mr. Himpton.
- Nous avons entendu des choses inquiétantes à propos de lui et vous. Pouvez-vous les confirmer ?
- Oui.
Elle était sereine. S'il était renvoyé, ils affronteraient les choses ensemble. Même sa famille ne pourrait pas les forcer à se séparer. Alors elle prit une grande inspiration et commença à répondre aux questions du principal, pour broder fil par fil la toile de sa relation.
Cambell Himpton avait été son professeur de maths à son entrée au collège. Toujours attentionné avec elle et les autres, intéressants, encourageant, mais pas assez pour que les notes de Tessa ne fassent que frôler la moyenne ; il avait 21 ans à l'époque. Un jeune professeur avec un diplôme tout neuf en poche qui faisait s'extasier les élèves des classes supérieures. Quand elle l'avait à nouveau eu comme prof cette année, elle avait 15 ans, lui 25, et les perspectives avaient changé.
La relative indifférence de Tessa par rapport aux garçons s'était heurtée aux sourires charmeurs de Cam, aux petits mots qu'il ne glissait que pour elle. Ça avait commencé par des compliments mal dissimulés – il la qualifia d'élève brillante le premier jour, heureux de l'avoir à nouveau dans sa classe, alors qu'elle était parfaitement consciente d'être banale, si ce n'était médiocre. Puis ça avait été des petits mots sur ses copies, des allusions discrètes qu'il la savait capable de comprendre. Ensuite, des messages cachés dans le contenu, même des exercices et des contrôles, par le choix des problèmes et des lettres. Et il y avait bien sûr ses sourires, ses regards en coin, ses clins d’œil et sa tendance à l'appeler plus souvent que les autres, simplement pour entendre sa voix ou l'avoir près de lui, au tableau.
Elle l'avait compris aussitôt mais elle avait été réticente, au début. Il ne la laissait pas indifférente mais elle savait ce qu'elle risquait à céder aux avances d'un professeur. Mais sa résistance avait cédé bien vite lorsqu'il lui avait proposé un rendez-vous après les cours, déguisé en cours particuliers. Ils étaient restés seuls dans cette salle de classe, si proches qu'elle pouvait presque sentir son souffle sur sa nuque, et ils avaient été si près de s'embrasser... avant que la cloche sonne et y mette fin.
Pour préserver le secret, Tessa fit de son mieux pour ne pas changer de comportement en public. Elle ne s'accordait que des sourires lorsque leurs regards se croisaient, lui faisait de même, et leur histoire se portait très bien. Le soir, ils se retrouvaient pour leurs "cours", d'abord à l'école puis, après plusieurs mois, chez elle, même si la proximité de ses parents les empêchait de s'embrasser. La journée, elle écrivait des mots d'amour sur ses cahiers et les glissait dans le hall de son immeuble. Sans les signer, bien sûr – ç'aurait été risquer de révéler leur secret.
La première fois qu'il lui avait dit qu'il l'aimait, elle s'était sentie défaillir. C'était au début de l'hiver, sous la neige, alors qu'elle le raccompagnait à la porte de l'immeuble. Il lui avait avouait ces sentiments qu'il savait partagés avant de lui ébouriffer les cheveux. Et il l'avait appelé Teb. Pas Tessa, comme il le faisait avant en classe, mais comme ses proches l'appelaient parfois. Elle était restée là, dans le froid, à le regarder partir, chérissant ses mots d'amour comme son plus beau trésor. Elle avait été malade pendant une semaine après ça, mais elle s'en fichait. Son père pouvait la garder alitée aussi longtemps qu'il le voudrait tant qu'elle revoyait Cam avant la saint-valentin. Il lui avait même transmis un mot pour lui souhaiter un bon rétablissement.
À son retour à l'école, cependant, il était plus distant. D'abord blessée par son attitude, elle avait fini par comprendre qu'il s'était senti rejeté par son absence, persuadé qu'elle avait feint la maladie pour ne plus le voir après sa déclaration. Sa peine, visible, lui fit mal au cœur, et Tessa finit par lui assurer que tout allait bien : elle ne s'absenterait plus, et elle n'avait pas été gênée par ce qu'il lui avait dit, l'autre soir., bien au contraire. Il avait souri, même ri un peu, puis il avait recommencé à l'appeler Teb ou Tebby, même en classe.
À la Saint-Valentin, elle avait trouvé dans son casier une boîte de chocolats, ses préférés bien sûr, avec un mot : "Parce que je ne peux pas te le dire autrement." Il n'était pas signé, mais elle n'avait pas besoin de se demander de qui il venait, pas plus que la rose distribuée par l’événement de la saint-valentin. Ravie, elle avait dissimulé son visage pour faire livrer une douzaine de roses à Mr. Himpton, juste pour voir son sourire – teinté de surprise – quand il les recevrait. Et ça n'avait pas manqué, bien sûr.
Deux jours plus tard, elle était allée chez lui pour la première fois. Pour les cours, bien sûr. Officiellement du moins, mais toutes ses petites attentions ne laissaient aucun doute. Bien sûr, après sa déclaration et ses cadeaux elle aurait pu s'attendre à bien plus, mais elle aimait la pureté et la tendresse de leur relation. Se tenir la main pendant quelques instants, discuter de tout et de rien autour d'un verre. Elle avait hésité à l'embrasser avant de partir, mais elle préférait lui laisser l'initiative. Qu'il n'avait pas prise. Elle était rentrée chez elle un peu déçue, mais le souvenir des heures passées à ses côtés avaient noyé sa déception.; Leur relation était plus forte que du contact physique et elle pouvait comprendre qu'il ait eu peur de déraper : la moindre trace pouvait tout détruire.
Et puis il y avait eu Manny. Une nouvelle élève, devenue son amie par la force des choses. Très vite proches, elles avaient une relation parfaite, jusqu'à ce qu'elle ne laisse entendre que le prof de maths lui plaisait. Le sang de Tessa n'avait fait qu'un tour, emporté par la jalousie, et elle avait craqué, avoué à Manny qu'elle entretenait une relation secrète avec lui. Mais le mot "secret" ne faisait pas partie du vocabulaire de sa nouvelle amie, et l'histoire avait éclaté. Juste des rumeurs, bien sûr, mais suffisamment pour qu'elle se retrouve dans ce bureau deux mois plus tard, incapable de profiter du temps qu'il lui restait avec Cam avant les vacances d'été.
- Il n'y a donc rien eu de... physique entre vous ?
- Non ! Notre amour est plus fort que ça et je ne suis pas...
Tessa n'ajouta rien. Son premier réflexe aurait été de dire "pas une fille facile", mais la vérité était qu'elle n'était pas intéressée. Sa relation n'avait pas besoin d'être physique pour être parfaite.
- Il prétend que rien ne s'est jamais produit.
- Qu... Hein ?
Il avait... continué à mentir ? Mais pourquoi ? De toute façon, avec les rumeurs, il aurait été suspendu, donc ce n'était plus la peine de se cacher... Il fallait qu'elle lui parle.
- Nous allons ouvrir une enquête. En attendant, le professeur Himpton est assigné à résidence et a interdiction de s'approcher des élèves.
- Quoi ? Mais comment je pourrais le voir ?
- Vous ne pourrez pas !
La principale venait de hausser le ton en tapant du poing sur la table.
- Si cette sanction a été appliquée, c'est pour vous éloigner. Cette relation 'est pas bonne pour vous et il a abusé de son statut de professeur pour vous faire des avances.
Tessa baissa la tête. Elle ne protesta pas, mais il fallait qu'elle trouve un moyen de le voir. De s'excuser pour avoir révélé leur secret. Il lui en voulait forcément, c'est pour ça qu'il avait menti.
Quelques jours après sa convocation chez la principale, Tessa commença à écrire. Des mots d'excuse, d'amour, emplis de l'angoisse qui dominait ses pensées.
Tu m'aimes toujours ? Tu me pardonnes ? Les lettres, déchirées ou roulées en boule, s'entassaient sur le sol de sa chambre dans une frénésie proche de la folie. Elle voulait tout réparer, tout remettre comme avant. Remonter le temps à cette soirée d'hiver où son paradis avait enfin pris forme. Mais ses parents ne la laissaient pas sortir en dehors des cours et venaient la chercher au lycée. Elle n'avait pas une seconde de vie sans surveillance, à part quand elle s'isolait dans sa chambre. À force d'enquêter dans l'école, au point de pirater le mail d'un prof elle avait fini par obtenir son numéro, mais il ne répondait à aucun de ses sms, pas plus qu'à ses appels. Elle n'avait pas d'autre choix. Elle ne pouvait pas le laisser l'abandonner. Pas lui. Pas lui aussi...
Elle prépara ses affaites, en pensant à tous ceux qui n'avait pas été là pour elle.
« Papa, où elle est maman ? »
« En voyage pour son travail, chérie. Elle rentre dans un mois. »
« Encore ? Mais elle va rater mon premier jour en primaire... »
« Elle sera là l'année prochaine. »
« Ça sera plus le premier jour... »
Sa mère n'était pas venue. Ni à cette rentrée, ni à Halloween, ni à Noël. Elle ne l'avait vue que par vidéoconférence, à l'autre bout du monde pour encore un voyage d'affaire. Là pour le nouvel an, la saint-valentin, absente à son anniversaire, à la fête de l'école. Elle avait été là pour la rentrée suivante mais pas pour les vacances d'été. De cette femme aux cheveux clairs qui l'avait portée et bercée, elle finit par avoir plus de vidéos que de souvenirs en chair et en os. Quand elle revenait, c'était pour passer du temps avec son mari et confier Tessa à sa sœur. Oh, la petite s'entendait bien avec sa cousine, oui, mais l'absence de sa mère lui pesait.
Et puis un jour, quelque chose se brisa. La patience de son père devint méfiance ; la solitude, paranoïa. Lorsque sa mère s'absentait, Tessa le voyait angoisser. À chaque retour, depuis sa chambre, la collégienne qu'elle était devenue n'entendait plus que des éclats de voix.
Les doutes de son père n'était pas fondés, mais ils suffirent à fragiliser son mariage jusqu'à ce que, finalement, tout s'écroule. À douze ans, elle avait vu sa mère partir avec des valises qui, elle le savait, ne franchiraient plus jamais cette porte. La déchirure de l'abandon s'était alliée aux autres pour finir de creuser un trou béant dans son cœur.
« On se retrouve pour bosser ce soir ? Chez moi ? Mon père sera pas là. »
« Encore ? C'est la troisième fois cette semaine, non ? »
« Il a un rendez-vous. »
« Avec une fille ? »
« Hm hm. »
« Tu penses que c'est sérieux? »
« J'espère ! Si elle pouvait prendre la place de ma mère, ça serait génial. »
La copine de son père, Reya, fut ravie de l'accueil que lui réserva Tessa. D'abord inquiète à l'idée d'être rejetée par celle qui deviendrait sa belle-fille, la jeune femme finit par créer avec elle un lien bien plus fort que celui qu'elle avait eu avec sa mère. Au point qu'elle prit, effectivement, sa place. À quinze ans, Tessa s'était reconstitué une vraie famille, calmant temporairement sa peur de l'abandon.
Cette nouvelle famille tint le coup, même si elle finit par être plus proche de Reya que de son père. Absent, plus intéressé par la réussite de son couple et de sa carrière que par les affaires de sa fille dont il voulait préserver l'indépendance, il est vite devenue le réceptacle et le catalyseur de cette peur maladive de l'abandon. Comme sa mère avant lui et bien d'autres entre deux, il a rejoint la longue liste de ceux qui, à ses yeux, l'avait laissée tomber.
Avec lui, les amis qui la laissaient de côté en se trouvant un copain ou une copine, développant par là-même sa réticence aux couples en général et son désintérêt pour les garçons. Ceux qui redoublaient, sautaient des classes, n'allaient pas dans le même lycée qu'elle ou changeaient de lycée. Mais surtout, après lui, l'un des pilliers de son enfance : Willow.
L'injustice de son jugement ne lui est jamais venue à l'esprit. La convalescence et le deuil de sa cousine après l'accident qui a tué sa famille, loin de susciter de la compassion ou une envie de la soutenir et de resserrer les liens, a fait naître en elle une profonde rancœur. Willow était la seule personne de la famille de sa mère avec qui elle avait gardé un semblant de contact après le divorce. On a eu beau lui expliquer la situation, elle n'a jamais considéré ces deux mois de convalescence comme une raison valable de l'avoir "oubliée", par plus que le deuil ou que la "décision", impardonnable à ses yeux, d'aller vivre chez la mère qui l'avait abandonnée toute sa vie.
Sa mère. Ses amis. Son père. Sa cousine. Si lui aussi l'abandonnait, qui lui resterait-il ? Reya ? La cruauté de la principale avait jeté un froid dans ses relations avec sa nouvelle mère. Mais non, Cam ne l’abandonnerait pas. Elle serra son sac contre elle avant de le passer sur ses épaules, ouvrit la fenêtre et jeta un œil au jardin en-dessous. Un étage. Elle n'avait jamais fait ça.
Elle enjamba l’encadrement et s'accrocha à bout de bras, ne lâchant qu'en sentant le rebord de la fenêtre du rez-de-chaussée sous la pointe de ses pieds. Puis, après un regard à l'intérieur du salon pour être sûre qu'on ne l'avait pas repérée, elle partit en courant.
Il lui fallut un moment pour le trouver. Après avoir sonné chez lui et compris qu'il était absent, elle avait fait tous les lieux qu'il aimait : le parc, son café préféré, le cinéma à l'angle de la rue, même l'école pourtant fermée. Personne ne l'avait vu. Paniqué à l'idée qu'il ait pu lui arriver quelque chose, qu'il lui en veuille ou, pire, qu'ail ait rencontré quelqu'un d'autre, elle se connecta à sa boîte mail et lut ses derniers messages.
Puis elle courut vers l'appartement de la principale.
- Tessa ? Qu'est-ce que tu fais là ?
- Tu... Tu ne répondais pas je... je voulais savoir si tu m'en voulais et... et pourquoi tu avais...
- Arrête. Je vais me faire renvoyer à cause de tes histoires, alors dis-moi juste ce que tu veux, qu'on en finisse.
- Mes... histoires ?
Puis ses autres mots se frayèrent un passage jusqu'à son esprit.
- Comment ça... qu'on en finisse ? Tu... Tu ne veux plus de moi ?..
- Arrête ton petit jeu ! Je ne sais pas ce que tu t'es inventé comme histoire pour crâner auprès de tes copines, mais tu es allée trop loin ! Tu sais ce que ça peut me coûter, ta petite comédie auprès de la principale ?
La tirade, autant que la colère qui baignait ses paroles, la toucha en plein cœur. Elle leva vers lui un regard empli de larmes, de douleur et d'incompréhension.
- Quoi ? Je... je ne comprends pas... Tous les messages, les rendez-vous secrets, ta... cet hiver... tu as dit que tu m'aimais...
- J'ai dit que j'aimais ton implication ! Reviens à la réalité, Tessa !
- C'est
toi qui m'a couru après ! Toi ! C'est toi qui m'a invitée, qui a flirté avec moi, qui m'as dit que... Et maintenant tu dis que c'est de la comédie ?!
Elle avait élevé la voix, sa détresse se changeant en colère, en rage, d'abord sourde puis explosive. Sa main se referma sur l'arme dans la poche latérale de son sac à dos.
- Que ça ne représentait rien pour toi ?!
Pointa le canon vers lui.
- Tu me quittes parce qu'on nous a découvert ?! Quel genre de monstre tu es ?!
Lividité. Sueurs froides. Toute indignation évaporée face à la peur.
- Tessa...
- Pourquoi tu me fais ça ?
Le bruit du pistolet qu'on arme, le doigt qui tremble sur la détente.
- Te... Tebby, s'il te plaît. Crois-moi je... je n'aurais jamais fait ça... Mais cette histoire... Tebby, c'est... c'est dans ta tête...
- Dans ma tête ?
Plus que quelques millimètres, une légère pression...
Un déclic. Pas sous ses doigts, mais dans sa tête. Elle voit la peur dans ses yeux, réentends sa détresse à l'idée de perdre son travail. Comprend sa responsabilité, tout le mal qu'elle lui fait. Peut-être qu'il dit vrai.
- Tu souffre...
L'arme se baisse, le doigt s'écarte, mais Cam reste figé.
- Tu souffres à cause de... ce qui se passe dans ma tête ?
Tout est faux. Il l'a dit. Aucun espoir. Tout est dans sa tête. Elle doit... prendre soin de lui. C'est ça l'amour, non ?
- Tessa !
Le canon s'est posé sur sa tempe.
- Tessa, arrête !
Trop tard.
L'arme était plus dure à tenir qu'elle l'aurait cru. Le recul plus fort. Mais ça ira. Le noir envahit son champ de vision.
C'est que c'est fini, non ?
Elle s'effondre le sourire aux lèvres.
La lumière est trop vive. Ferme les yeux.
Rendors-toi.
Tessa ouvre les yeux. C'est la sixième fois en deux semaines, mais elle ne s'en souvient pas. Elle n'est pas restée consciente assez longtemps. Mais son esprit s'accroche, cette fois.
Elle voit du blanc, face à elle. Mur blanc. Rideaux blancs. Un lien se fait : hôpital. La raison reste encore obscure.
Ferme les yeux.
Non.
Pourquoi mes mains sont grises ?
Le réveil fut brutal. Tirée du brouillard par le choc, Tessa leva les mains devant elle. Grises. Elle crut que c'était l'obscurité mais non, non, il faisait jour. Alors quoi ?
Elle se frotta les yeux, mais les couleurs ne revenaient pas. Son cœur, sa respiration s'accéléraient à mesure qu'une plainte montait dans sa gorge. Un gémissement désespéré, inarticulé. Était-elle morte ? Dans les limbes ? La porte de sa chambre s'ouvrit sur son père. Gris.
Elle hurla.
Achromatopsie cérébrale. Des mots qui lui étaient inconnus avant aujourd'hui. Perte de la vision des couleurs après une lésion au cerveau. L'opération qui avait délogé la balle et lui avait sauvé la vie avait eu des conséquences involontaires. Le médecin lui expliquait et elle l'écoutait distraitement, les yeux dans le vague. Cam n'était pas encore venu la voir.
Quand elle s'en ouvrit à ses parents, elle vit l'inquiétude dans leur regard.
- Tessa...
- Il est venu pendant que j'étais dans le coma ? Il est toujours prof ?
Elle avait raté les vacances d'été. À deux semaines de la rentrée, elle voulait savoir si elle avait une chance de le revoir, de reconstruire ce que Manny avait détruit.
- Tessa, c'était... uniquement dans ta tête...
- Non ! Non, il a dit ça parce que la principale pouvait l'entendre. Ha ha, j'ai été bête de le croire. On a perdu tellement de temps...
Elle ne perçut pas la panique que son affirmation et son sourire faisaient naître chez ses parents. Cam l'aimait, elle le savait, et leur amour survivrait à cette épreuve.
Sa thérapie commença quelques jours plus tard. Diagnostiquée érotomane, Tessa vit défiler plusieurs psys, la consultation d'un thérapeute unique risquant de transférer son obsession. On entreprit de déconstruire son délire, mais elle fixait sans arrêt la porte, attendant que son amour fictif la franchisse enfin.
Pour l'éloigner des lieux familiers de son délire et pour de pas pénaliser le reste de sa vie à venir en arrêtant ses études, on décida d'envoyer Tessa en Agnleterre à Indarë, où elle pouvait continuer ses études et se reconstruire. Avec des indications très précises.