[2017] Un moyen facile d'obtenir son diplôme

Posté sur le trottoir en face du centre commercial, Daryl attendait, la tête baissé vers ses chaussures. Sous ce ciel aux nuages grisées, son esprit l'était tout autant. Comme à son habitude, il avait respecté les étapes minutieuses censées parfaire sa journée d'efficacité. Une sortie de lit assidue, une préparation corporelle appliquée ainsi qu'un petit déjeuner à la fois gourmand et nutritif. Mais alors pourquoi ? Pourquoi ses lèvres soupiraient-elles tant ? Pourquoi son sourire paraissait si crispée ?

Il fallait remonter quelques jours auparavant pour comprendre enfin les raisons nourrissant sa nervosité. Les cours s'enchaînaient pour le majordome. Mêlant ardeur et attention, il travaillait activement pour comprendre les subtiles explications de ces professeurs. Au bout de cette rude année et ses camarades le savaient pertinemment, le diplôme officiel, qui avait cependant une saveur très particulière pour le gentleman... Lui ne pouvait quitter cet établissement sans avoir empoigné ce papier prestigieux.
Si dans la plupart des matières, son rendement était exceptionnel, d'autres faisaient tâche à son bulletin. Les professeurs en charge de ses matières dites problématiques ne remettaient en rien le comportement attentif du jeune anglais, mais restaient avares en soutien efficient.

Lors d'une discussion d'après cours vers 18h, impliquant sa personne et un professeur de technologie, ce dernier avait été catégorique. Non seulement la nullité de ses notes en la dite matière pourrait être un frein à l'obtention de son Saint-Graal, mais elle pourrait carrément l'empêcher de vivre correctement plus tard. Cette conversation avait fait monté le jeune homme au créneau avant que celui-ci, conscient de son écart de conduite ne se calme. Le constat de l'érudit était on ne plus sévère, mais Daryl ne démentit les faits. Ses notes ne jouaient, de toute façon pas en sa faveur.
Jusqu'à la fin, il écouta les élucubrations du professeur, n'y prêtant pas spécialement attention, tant il s'agissait de reproches récurrentes, jusqu'à entendre la plus improbable d'entre elle :

- C'est bien la première fois que je dis ça, mais l'achat d'un portable voire d'un ordinateur devrait t'aider à obtenir ton diplôme.

Sa surprise avait été de taille lorsque le professeur lui avait donné cet étrange conseil. Il ne sut d'ailleurs comment réagir à ce propos. Jamais ne lui était venu l'idée d'en acheter un et ce, malgré le fait que 99.99999% de ses camarades de classe devait en avoir un. Jusqu'à ce jour, il n'en avait pas vu l'utilité et n'en voyait toujours pas l'utilité à long terme. Cependant, il comprit qu'à court terme, il pourrait espérer consolider l'obtention de son diplôme. Les deux hommes se quittant, le gentleman avait la ferme intention de s'acheter un portable...

Mais voilà... il n'y a jamais eu de grandes histoires d'amour entre Daryl et la technologie. En plus d'ignorer le fonctionnement d'un portable, il ne savait même pas où en acheter. Et lui indiquer de faire une recherche Internet avec PC était tout sauf une bonne idée, puisqu'il n'aurait même pas su comment l'allumer. Après le déluge de critiques éducatives infligé par son professeur, il ne s'était pas spécialement senti d'aplomb de lui dire ô combien il était inculte dès qu'il s'agissait de technologies.
C'est pourquoi le gentleman, dès qu'il eut fini de converser avec son professeur, il chercha désespérément une main charitable prêt à le guider dans l'achat de cet appareil. Il était alors plus de 18h30 passée. Peu de gens trainaient dans les couloirs de l'établissement et le peu qu'il trouva ne sembla guère le rassurer à raconter l'importance de cette mission. Finalement, après un certain temps à ratisser l'établissement, il trouva bien quelqu'un. Daryl ne saurait vous dire s'il avait abordé cette personne par pure intuition ou parce qu'il était brûlé par un désespoir cinglant.  Après quelques négociations et mise en place de conditions, la personne accepta et fixa le rendez-vous au centre commercial.

Voilà pourquoi il se tenait en face de ce centre commercial. Avec un peu de bonne volonté, il aurait pu savoir que son bonheur se trouvait à l'intérieur de ces infrastructures marchandes. Mais pour son diplôme, il n'avait voulu prendre de risques. La sollicitation de cette tierce personne en était la preuve et bien qu'il ait été éhonté de faire appel à elle, il n'avait pas songé à d'autres moyens.

- Il est bientôt l'heure ! chuchota t-il plein d'appréhension.

Déconfit par les heures qui pourraient suivre, mais aussi par sa sollicitation peu bienséante, il serra fortement sa montre à gousset. En fonction des évènements de la journée, ce serait peut-être la dernière fois qu'il l'utiliserait pour consulter l'heure...

Le temps passait et s'écoulait lentement. Très lentement. Fixant sordidement sa montre à gousset, ses yeux clignaient au rythme du tic-tac assourdissant de l'aiguille trotteuse. Il ne bougeait pas et regardait cette remarquable tige de métal atteindre petit à petit l'heure qu'il attendait tant. Celle de son destin. Derrière les portes de verres coulissant automatiquement se cachait peut-être la clé qui lui assurerait son diplôme à Indare. Son obtention était sa priorité. Après tout, s'il avait été envoyé dans cet établissement cosmopolite, c'est parce que l'absence d'un brevet lui faisait défaut.

Le gentleman n'avait donc que cette idée en tête, si bien qu'il ne remarqua pas les secondes, puis les minutes défiler nonchalamment. Normalement incisif et pointu sur les horaires, ses nombreuses appréhensions ne le firent remarquer ce détail, auquel il accordait pourtant une importance prononcée. Intérieurement, il se sentait dévoré par une étrange angoisse, se nourrissant elle-même d'un profond sentiment de honte. Daryl avait été éduqué pour servir le peuple. En aucun droit, il ne se permettrait de le solliciter pour de complexes intérêts. Pourtant, si le gentleman était dressé ici,  muni d'un costume professionnel tape-à-l'oeil, c'était bien parce qu'il avait quémandé l'aide d'une bienveillante personne. Qu'importe la gentillesse de cette dernière, il regrettait amèrement que son désespoir eût attiré une inconnue.

Ce personnage mystère daigna enfin se révéler. Essoufflée, il avait probablement couru à vives enjambées pour ne rater ce rendez-vous. Daryl avait toujours un oeil sur sa montre à gousset, mais n'avait pas l'air de faire attention à l'horaire dépassée depuis presque dix minutes. L'interpellation féminine de l'épuisée physiquement le tira de sa morbide fixation :

- Désolée du retard, ma montre est cassée. annonça la demoiselle, le souffle encore irrégulier.

D'un geste sec, il referma le clapet de sa montre et la glissa dans sa poche pour regarder plus en détail l'arrivante. C'était une jeune fille aux cheveux maïs vêtue d'un sombre tee-shirt et d'un jean aux pigmentes bleus de mer. Le regard vert pétillant de son interlocutrice lui confirma qu'il s'agissait bel et bien de la personne à qui il avait formulé sa requête inconvenante.
Sa main droite se posa gracieusement sur son coeur et humblement, son buste s'inclina légèrement pour déclarer :

- Mlle Naomi, je tiens déjà à vous présenter mes plus plates excuses pour vous avoir entrainé si honteusement dans mes problèmes ! Il s'arrêta quelques secondes, puis reprit sous le regard de quelques passants intrigués. Je comprendrais parfaitement un refus de dernière minute, mais dans le cas où vous persistez à vouloir m'aider, je m'en remets à vous ! Où devons-nous rendre pour trouver ce que je recherche ?


Comme son père lui avait appris, ses lèvres s'adoucirent pour montrer presque mécaniquement un petit sourire honoré. Daryl attirait instinctivement quiconque le croisant dans la rue. Ses habits bourgeois ainsi que ses manières polies créaient autant d'admiration que d'étonnement. Si son comportement pouvait logiquement étonner les civils, les élèves d'Indare comme Naomi devaient potentiellement y être habitués.

Toutefois, affirmer sur cette hypothèse que le gentleman connaissait parfaitement Naomi était peut-être présomptueux. De source sûre, il savait que la ravissante demoiselle était dans sa classe et qu'elle suivait également le même cursus. Bien que ne développant pas forcément de mirobolantes conversations avec ses camarades, il avait pris la peine de retenir leur tête tout en les étudiant approximativement. Toujours est-il que, même si elle fréquentait bien plus souvent Daryl que les civils traversant le magasin, elle aussi avait droit à son lot de réflexion quant au comportement extrêmement académique du gentilhomme.