Comme chaque jour, après chaque journée de cours, Evelynn faisait la même chose, avant de faire ses devoirs. Ingurgiter de nombreuses pilules, qui, selon son psy, avaient pour but de soulager quelque peu sa dépression et ses envies suicidaires. Mais dans les faits, elle ressentait relativement souvent l'envie de se jeter du toit, mais il y avait tout de même une petite amélioration, puisque ces envies ne monopolisaient plus son esprit comme auparavant. Mais elle était loin d'être soignée, et elle doutait pouvoir l'être un jour. Si elle pouvait vivre sa vie sans être dépendante d'un quelconque traitement, elle en serait heureuse, mais il était évident que s'il cessait de le prendre, son psy n'allait clairement pas apprécier, et elle devrait en subir les conséquences. Déjà qu'elle avait bien plus d'interdictions que les autres élèves, si en plus elle se tirait une balle dans le pied en cessant de prendre son traitement, la situation serait encore plus complexe pour elle, ce qu'elle ne voulait pas. En arrivant à la fin de son verre d'eau, elle dut avaler les deux dernières pilules sans eau, et bien qu'elle en avait l'habitude, elle était toujours sur le point de s'étouffer en avalant la dernière.

En prenant l'un de ses cahiers, elle soupira en voyant certaines de ses cicatrices, notamment celles sur son poignet, qui lui criaient en permanence, en les voyant, qu'elle s'était ratée. Mais il était évident qu'en tentant de se tailler les veines avec un couteau dans la bouche, il lui serait bien plus difficile de parvenir à ses fins qu'avec une personne disposant de ses deux mains. Depuis son arrivée dans cet établissement, elle avait été quelque peu forcée à prendre un traitement renforcé pour lutter contre ses tentatives de suicide, mais elle avait également l'interdiction d'approcher ou de posséder tout objet tranchant. Tout était fait pour son bien, elle le savait, mais vivre une telle situation, surtout avec son instabilité mentale, lui faisait beaucoup de mal. Toutefois, elle acceptait d'être aidée, du moins de manière psychiatrique, car elle entretenait l'infime espoir que tout ceci cesse un jour et qu'elle puisse enfin de nouveau aimer la vie, et d'accepter enfin de vivre sans la présence de sa mère à ses côtés au quotidien. Bien que son espoir soit exceptionnellement infime, il était tout de même présent.

Evelynn se mit donc à faire les exercices qui lui étaient demandés pour le lendemain. Elle comprenait à moitié ce qui lui était demandé en sciences, mais elle faisait ce qu'elle pouvait. L'essentiel était d'essayer, si elle se trompait, elle n'aurait qu'à prendre la correction, et essayer de comprendre, tout en posant des questions, où elle avait pu se tromper pour éviter de refaire les mêmes erreurs la prochaine fois. Mais l'adolescente trouvait que les sciences étaient trop complexes pour elle, et de ce fait, elle avait beaucoup de mal à comprendre les concepts. Cependant, elle était très bonne en informatique, et c'était tout ce qui comptait à ses yeux. Il lui fallut près d'une heure pour finir ses devoirs du jour, dont la moitié fut occupée par de la science. Quand elle put finalement faire autre chose, comme par exemple des exercices de langue, un léger sourire se dessina sur son visage. Elle aimait beaucoup les langues, surtout le Japonais, et elle en venait même à se demander si elle ne devait pas en faire son métier par la suite. Mais pour cela, elle devait finir ses études, et éviter de se jeter sous un train. Maintenant que ses devoirs étaient terminés, elle allait pouvoir faire autre chose, c'est-à-dire lire. Elle se jeta donc sur son lit et prit le premier livre qui lui tomba sous la main. Elle allait donc lire pour la fin d'après-midi, sauf si quelqu'un venait la chercher pour faire quelque chose d'autre.

La première chose dont Evelynn se rendit compte fut que cette idée n'enchantait absolument pas la personne avec qui elle allait passer un moment, c'est-à-dire sa partenaire de chambre. L'adolescente détestait ce genre de sensations, où on lui faisait clairement passer le message qu'elle dérangeait. Elle n'aimait pas déranger, se faisant toujours aussi discrète que possible, et dans cette situation, on lui faisait passer le message qu'elle était de trop, et la première chose qu'elle voulut faire était de prendre ses jambes à son cou et partir d'ici le plus vite possible, du moins aussi vite que ses jambes le lui permettraient, c'est-à-dire relativement lentement. L'Anglaise fit en sorte de vider son esprit des pensées parasites, mais cela restait relativement difficile dans de telles circonstances. C'était dans ce genre de situations qu'elle aurait préféré rester chez elle, mais elle ne pouvait clairement pas faire machine arrière. Elle allait donc faire ce qu'elle savait faire de mieux, suivre, en silence, en essayant de se faire remarquer le moins possible. Dans ce genre de situations, ramener l'attention sur soi serait pire que tout pour elle, et c'était tout ce qu'elle voulait éviter.

- Merci, en tout cas. J'apprécie, sincèrement.

Elle faisait vraiment en sorte de faire le moins de vagues possibles, et pour cela, parler le moins possible était l'une des solutions qu'elle utilisait le plus souvent. D'ailleurs, elle parlait relativement peu aux gens qu'elle ne connaissait pas bien, ou pas du tout. Evelynn s'était créé une sorte de carapace dans laquelle elle se réfugiait quasiment en permanence, et dont il était très difficile de la sortir quand elle s'y réfugiait. Se protéger elle-même du monde extérieur était une chose qu'elle faisait très régulièrement depuis son accident, et à cause de cela, elle avait une image de personne froide, sans émotions, et sans volonté de faire le moindre effort, pour beaucoup de personnes. Mais son état mental ne lui permettait pas vraiment d'agir autrement, du moins avec des personnes en qui elle n'avait pas une confiance absolue. Et ces personnes se comptaient sur les doigts de la main. Après avoir pris sur elle-même, elle se mit à suivre sa partenaire de chambre, sans un mot, car si elle commençait à engager la conversation avec quelqu'un qui n'était visiblement pas emballé par l'idée, cela ne ferait qu'empirer les choses.

Ceci dit, bien qu'elle ne parlait pas, elle prêtait attention à tout ce qu'il y avait autour d'elle. Même si elle avait des questions, elle les gardait pour elle-même. Plus vite cette visite se terminerait, mieux cela serait pour elle. Mais au fond d'elle-même, elle espérait surtout que cela ne soit pas comme ça en permanence, surtout étant donné qu'elles allaient devoir cohabiter ensemble. Toutefois, elle voulait tout de même engager quelque peu la conversation, même si son esprit lui hurlait de ne surtout pas le faire.

- T'es dans cette école de ton plein gré toi? Ceux-là ont tellement de chance...

Pendant un certain temps, l'Anglaise restait silencieuse, surtout après cette question. Il était normal qu'elle lui pose cette question, surtout après avoir sous-entendue qu'elle n'était pas ici de son plein gré. Evelynn n'aimait clairement pas parler de son accident, tout simplement car le simple fait d'en parler ou d'y penser lui rappelait que sa mère n'était plus de ce monde, ce qui la plongeait dans un profond chagrin dès qu'elle y pensait. Les antidépresseurs relativement puissants qu'elle prenait faisaient en sorte de contrôler ce genre d'événements, mais ils ne faisaient pas non plus des miracles. Toutefois, elle se devait de répondre à cette question, par politesse, mais sans non plus rentrer dans les détails. Il fallait donc faire un savant mélange entre honnêteté et discrétion, ce qui n'était pas du tout le fort de l'adolescente, loin de là.

- J'ai... eu un accident quand j'étais plus jeune. C'est ce qui s'est passé après qui a fait que.... je suis ici.

Est-ce qu'elle allait développer? Avec une personne qu'elle ne connaissait pas vraiment? Rien n'était moins sûr. Cette information suffisait amplement, et si elle lui demandait quoi que ce soit d'autre à ce sujet, Evelynn allait faire en sorte de changer de sujet. Elle n'avait clairement pas envie de fondre en larmes en plein milieu d'un couloir, avec des tas d'yeux tournés vers elle, se posant tout un tas de questions, car partir dans une crise de larmes et de panique en public soulevait toujours un tas de questions. Et être au centre de l'attention ne faisait qu'empirer les choses pour elle, par conséquent, elle aimerait bien éviter ce genre de choses. Elle suivait donc, en silence, prêtant attention à tout ce qu'elle lui montrait, gravant ces choses dans son esprit. Il y avait évidemment certains lieux qu'elle n'utiliserait pas, mais elle était là pour faire une visite, donc il était hors de question de se plaindre.

En plein milieu de la visite, son père lui envoya un message pour lui demander, comme à son habitude, comme s'était passé sa semaine. Tout en continuant à la suivre, elle lui répondit qu'elle n'avait rien à raconter de neuf, mis à part qu'elle aimerait rentrer à la maison, préférant rester chez elle qu'être ici. Mais elle n'avait pas le choix, son état mental ne permettait pas qu'elle reste sans surveillance, et son père, malgré tout l'amour qu'il portait pour elle, n'était pas fait pour ce genre de choses. Il avait un travail, et ne pouvait clairement pas se permettre de le quitter pour la surveiller en permanence, même si une telle idée ne le dérangerait pas, bien au contraire, puisqu'il ferait tout pour sa fille. Evelynn devait donc prendre sur elle, et serrer les dents.

- J'aurais préféré ne pas être ici, mais je n'ai pas eu le choix. Je ne sais pas si on va s'entendre, je n'en sais rien, mais tu ne m'entendras pas, je suis plus que discrète.

Elle lui disait ce qu'elle voulait sûrement entendre. Evelynn sentait pertinemment qu'elle n'était pas la bienvenue dans sa chambre, et elle ne voulait pas faire de vagues. Elle n'en avait jamais faite, elle n'allait pas commencer aujourd'hui.

L'esprit d'Evelynn lui criait "Evelynn, il va falloir apprendre à te taire si tu veux éviter un esclandre.", et tout ce dont elle avait envie, à l'heure actuelle, c'était de retourner chez elle, monter dans sa chambre, s'y enfermer à double tour, et n'en sortir qu'une fois qu'elle serait calmée, et qu'elle se serait rendue compte qu'elle était de retour chez elle, en sécurité. Malheureusement pour elle, tout cela n'était pas possible. Elle était condamnée à rester ici pour dieu seul sait combien de temps. Tout cela était pour son bien, elle le savait au plus profond d'elle, même si elle refusait de l'admettre. Dans sa tête, Evelynn pensait qu'elle serait bien mieux à la maison, coupée du monde extérieur. Mais, si elle était coupée du monde extérieur, comment allait-elle s'insérer dans la société par la suite? Car elle ne pouvait décemment pas rester chez son père pour le restant de ses jours. Il lui faudrait trouver un travail, éventuellement fonder une famille, sociabiliser, le genre de choses que faisaient les gens normaux. L'Anglaise aussi était normale, d'un certain point de vue, elle avait juste son traumatisme et un handicap physique. Ce qui, pour la société, était suffisant pour la mettre au ban.

Ainsi, l'Anglaise suivait sans dire un mot, se contentant simplement de regarder à droite à gauche pour se familiariser avec les lieux. Cela ne commençait pas du tout comme elle l'avait imaginé, et subitement, dans sa tête, elle fut prise d'un accès de paranoïa. Et si cette personne lui voulait du mal? Pourquoi semblait-elle si froide? Qu'est-ce que cela cachait? Est-ce qu'elle allait avoir une mauvaise surprise au moment où elle s'y attendait le moins? Evelynn devint par conséquent livide en un instant, elle se mit à penser certaines choses, et ces choses-là lui faisaient peur. Elle savait que les accès de paranoïa pouvaient arriver avec sa maladie, mais ils arrivaient toujours sans crier gare, au plus mauvais moment. Quand elle était seule, il lui suffisait de se coucher en position fœtale, elle pleurait silencieusement pendant de longues minutes, avant que tout cela passe comme par magie. Mais quand elle était en public, ou avec quelqu'un, quand cela arrivait, elle n'arrivait pas du tout à gérer ce genre choses. Et, à l'heure actuelle, elle était debout, droite et raide comme un poteau, le teint livide, et la main qui tremblait. Ses accès de paranoïa et d'extrême anxiété, selon sa psychiatre, étaient dû à sa peur du rejet, sa peur de la moquerie, d'être mise au ban de la société pour ne plus jamais en sortir. Et ici, au lieu de fondre en larmes au milieu du couloir, elle se rua sur un banc et s'assit en boule sur ce dernier, sa tête contre ses genoux.

- Ça va aller Evelynn, ça va aller. Papa va venir... dans pas longtemps. Il va venir...

C'était tout ce qu'elle était capable de murmurer, en boucle, elle tentait de se rassurer elle-même pour ne pas devenir folle. Folle? Elle l'était pour beaucoup de personnes. Elle devait prendre des médicaments quotidiennement, voir un psychiatre de manière régulière, elle faisait des crises de manière fréquente, ce n'était pas quelque chose de courant chez quelqu'un considéré comme normal. Est-ce qu'elle se considérait comme folle? Non, mais elle souhaitait juste être normale, ne plus avoir de crise, ne plus avoir peur, ne plus être en dépression. Elle voulait simplement vivre une vie normale. Elle murmurait en boucle les mêmes deux phrases, alors que sa respiration devenait saccadée. Il allait lui falloir quelque temps pour se calmer, mais elle allait y arriver. Ce n'était pas une crise aigüe, elle allait pouvoir s'en sortir toute seule.

Evelynn était là, sur un banc, la tête contre ses genoux, essayant tant bien que mal de se calmer. Car, dans une telle situation, la meilleure chose à faire pour les autres était d'attendre que cela passe. Cela pouvait être plus ou moins long, selon son état psychologique, mais contrairement à certaines crises qu'elle avait pu faire par le passé, celle-là était plutôt légère, et en quelques minutes, tout rentrerait dans l'ordre. Face à des gens normaux, elle semblait juste bonne à enfermer dans un asile psychiatrique, mais elle savait ce que c'était, elle y avait été, et pour rien au monde elle ne souhaiterait à qui que ce soit d'y être interné. Ne plus pouvoir voir ses proches, ne pas pouvoir sortir, être constamment sous surveillance, être en permanence sous l'effet d'antidépresseurs puissants et autres traitements psychotropes du même acabit, elle savait ce que c'était. Et subir tout cela une nouvelle fois était une idée qui lui était tout bonnement insupportable. Elle désirait tant vivre une vie normale, quand son esprit n'était pas parasité par ses envies suicidaires, mais dans l'état actuel des choses, revenir à la normalité était purement et simplement impossible. Il allait lui faire de longues années de travail sur elle-même pour espérer pouvoir toucher du bout des doigts un semblant de normalité.

Elle écoutait ce que lui disait Lily, mais pour l'instant, il fallait qu'elle se concentre, pour se calmer. Se concentrer sur sa respiration, respirer calmement et amplement, afin de faire baisser son rythme cardiaque. En se concentrant ainsi sur sa respiration, et uniquement sur sa respiration, elle nettoyait de manière assez sommaire son esprit, lui permettant par conséquent de penser à autre chose. Pendant quelques minutes, elle était assise, en boule, à respirer calmement, sans rien dire, jusqu'à ce qu'elle soit enfin calme. L'Anglaise poussa un long soupir, elle détestait ce genre de situations, non seulement car cela ne participait pas à donner une image à peu près normale d'elle-même, mais aussi parce que beaucoup de monde la considérait comme folle à cause de cela. Dans le même temps, elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas attirer l'attention, mais c'était peine perdue, elle ne pouvait rien faire contre tout cela, à part prendre son traitement en espérant qu'il fasse un jour véritablement effet. En attendant, elle était obligée de subir les aléas de sa psyché, sans avoir le moindre contrôle sur cette dernière.

- Merci, ça ira... Elle prit une grande inspiration, avant de donner un début d'explication. Désolée, ça arrive de temps en temps, et je ne peux strictement rien y faire. Je suis malade, et c'est pour ça que je suis ici. J'aurais bien voulu rester chez moi, mais ce n'était pas compatible avec ma psyché. Donc, je suis désolée, même si, à vrai dire, je ne peux strictement rien y faire.

Evelynn n'avait pas vraiment envie d'expliquer la raison pour laquelle elle était ici. Expliquer simplement qu'elle était malade suffisait amplement à ses yeux, cela ne regardait pas les autres de savoir pour quelle raison précise elle était là. Avoir perdu sa mère la faisait déjà souffrir horriblement, si en plus elle devait l'expliquer, elle était bonne pour retourner une nouvelle fois en hôpital psychiatrique, parce qu'elle aurait envie de se jeter du toit. Il fallait par conséquent qu'elle fasse tout pour ne jamais y penser, et elle faisait des petits progrès, jour après jour, ce qui était une maigre consolation. Après s'être calmée et avoir repris ses esprits, Evelynn se remit à suivre Lily, en espérant au fond d'elle que cela n'allait pas recommencer, même si elle n'y pouvait rien, comme elle l'avait expliqué. Elle prêtait attention à tout ce qu'elle lui disait, et notait chaque petit détail au fond de son esprit. Après de longues minutes, l'adolescente pensait avoir fait le tour.

- Merci, en tout cas. Je crois... qu'on a fait le tour. J'imagine que tu as d'autres choses à faire, donc je ne vais pas t'importuner plus que ça.