Pris la main dans le sac... [PV Tsume Montoya]

La lumière du jour qui se lève. C’était la raison pour laquelle Mathieu plissait les yeux sur le chemin qui le ramenait à Indarë. Il ne savait pas vraiment quelle heure il était, mais une chose était sûre : sa soirée avait dérapé.

Régulièrement, Mathieu dépensait son argent de poche dans des fast-foods et des bars. Il avait ses habitudes dans certains d’entre eux et, petit à petit, il commençait à se lier d’amitié avec d’autres habitués. Il prenait cependant soin de rentrer à l’heure pour le couvre-feu, sachant déjà qu’il était sur la corde raide. Il lui arrivait pourtant d’oublier de regarder l’heure et de rentrer 30 minutes, une heure, deux heures plus tard, au maximum. Il écopait alors de quelques sanctions peu graves, qui embêtaient plus le garçon qu’autre chose, sans pour autant l’empêcher de recommencer.

Pourtant, ce soir-là, il avait été intégré à un groupe d’amis passablement éméchés dans un des pubs de Londres. Le contact humain et les sourires béats des adolescents l’avaient mis en confiance, et il n’avait plus pensé à rentrer. Il les avait donc suivi en boîte de nuit, où il ne se sentait pas particulièrement à l’aise. Cependant, durant la soirée les choses se sont compliquées. Dans la foule, Mathieu avait repéré une fille qui lui plaisait. Or, les consommations du bar lui étaient montées doucement mais sûrement au cerveau, et vers les 5h du matin passées, il n’aperçut pas le groupe d’amis s’en aller. Perdu, Mathieu décida de tenter sa chance avec sa cible, mais il ne reçut que de l’indifférence de la part de cette fille et des rires moqueurs de la part de ses deux amies. Finalement, déçu, l’adolescent se résigna à sortir. Il tapota ses poches pour y découvrir un portefeuille vide. Il avait dépensé tout son argent du mois dans des boissons. Il ne lui restait plus que 20 pence, c’est-à-dire pas de quoi acheter un billet de métro pour rentrer à Indarë. Agacé, il avait alors marmonné des insultes envers lui-même, puis s’était résolu à utiliser ses jambes. Or, si la boîte de nuit n’était pas si éloignée que ça de l’Institution, le chemin vers sa chambre était inconnu à Mathieu. Errant un peu au hasard, l’adolescent était enfin parvenu à retomber sur une rue qu’il reconnaissait, avant de se diriger vers l’entrée du complexe d’Indarë.

Mathieu souffla en apercevant l’école. « Enfin », pensa-t-il. Sa nuit l’avait épuisé, et il devait toujours sentir l’alcool et la sueur à plein nez. De toute façon, il pensait se faire porter malade pour ne pas aller en cours aujourd’hui. L’odeur si particulière de son oreiller faisait déjà rêver le jeune homme, qui ne souhaitait qu’une chose : s’écrouler dans son lit.

Gardant un air le plus sérieux possible, Mathieu s’engagea dans les derniers mètres qui le séparaient du portail d’entrée. La barrière était déjà ouverte, mais il allait devoir passer devant le vigile, qui ne manquerait pas de le questionner. Aïe, ce détail allait compliquer son plan… Doucement, il avança jusqu’à l’entrée, l’air de prendre son temps. Il passa devant la cabine du gardien, et serra les dents, prêt à répondre à un « Hey, qu’est-ce que tu fais dehors à c’t’heure là ? ».

Pourtant, rien. Pas un son ne parvint à ses oreilles hormis celui de ses propres pas. Sans jeter un coup d’œil à la cabine du gardien, le lycéen s’engouffra dans l’école, direction les dortoirs. Les mains solidement enfoncées dans ses poches, il tourna légèrement la tête et s’aperçut que la cabine était vide. Le vieil homme qui gardait l’entrée devait être parti aux toilettes, ou faire quoi que ce soit d’autre. Dans tous les cas, Mathieu appréciait le retour de sa chance après cette nuit compliquée.

Le soleil commençait à briller dans le ciel londonien quand il arriva à l’entrée du dortoir. Il ne lui restait plus que trois étages à monter sans faire de bruit, et le tour était joué. Confiant, le jeune homme posa sa main sur la poignée, puis haussa un sourcil. La serrure était fermée. Il tenta d’appuyer plusieurs fois sur la poignée, de plus en plus fort, par dépit.

« Et merde… Pourquoi ils ont fermé ?! » pesta-t-il à voix basse.

En désespoir de cause, il sortit une vieille clé de cadenas qu’il avait gardé sans raison précise dans son portefeuille, et tenta de l’insérer dans la serrure, sans succès. Il était coincé dehors. Il lui fallait désormais attendre que quelqu’un vienne lui ouvrir. Un instant, Mathieu songea à escalader le bâtiment, mais il chassa rapidement cette pensée. Trop dangereux, et il n’avait pas la condition physique pour ça.

Cependant, alors qu’il réfléchissait à un moyen d’entrer discrètement dans les dortoirs, Mathieu sentit une présence derrière lui. Un frisson descendit de sa nuque jusque dans son dos, et il se figea. Perdu dans ses pensées, il n’avait pas entendu la personne arriver. Le jeune homme pria pour que ce ne soit pas la directrice ou n’importe quelle personne pouvant le sanctionner. Il se retourna lentement, très lentement, afin de découvrir cette personne. Mais il se rendit rapidement à l’évidence.

Visiblement, Dieu n’écoutait pas les prières.

L’esprit toujours légèrement embrumé, Mathieu ne comprit pas tout de suite ce qu’il se passait. Face à lui, une jeune femme qui devait avoir à peu près son âge et qu’il avait déjà croisé dans les couloirs de l’Institution. Il pensa alors avoir affaire à une élève, comme lui.

Pourtant, quand elle lui parla, le jeune homme ressentit le poids de l’autorité qui pesait sur les épaules de la femme aux cheveux verts. De plus, elle le vouvoyait, ce qui n’était pas vraiment bon signe. Il tenta de cacher maladroitement la clé, pourtant inutile, dans l’une de ses poches, mais elle lui échappa des mains et tomba au sol. Mathieu serra les dents, se sentant acculé comme une proie face à un chasseur.

Malgré son imagination pour trouver rapidement des mensonges, rien ne lui venait à l’esprit. Alors il se contenta de fuir le regard de la surveillante et de regarder le bout de ses chaussures, l’air soumis, presque enfantin.

« J’ai pas de badge… »

Il s’était exprimé à voix basse, honteux de s’être fait attraper si proche du but. Et puis, comment l’avait-elle eu, sans même qu’il le remarque ? Il se maudissait intérieurement d’avoir prolongé sa soirée en boite de nuit. Il était littéralement au pied du mur, mais tenta d’abattre une dernière carte, pour tenter de s’en tirer sans trop de soucis :

« Mais je… J’allais voir un ami à l’hôpital. Il est pas à Indarë mais il a fait un… (Il chercha le mot anglais pour AVC, mais ne le trouva pas) … Euh… Il a fait un malaise, donc je suis allé le voir. Mais je me suis endormi là-bas, et donc je suis rentré quand je me suis réveillé... »

Au fur et à mesure que les mots sortaient de sa bouche, Mathieu se maudit intérieurement. Il avait déjà sorti des excuses bidons, mais alors celle-là, il ne pensait même pas en être capable. De plus, avec la bouche pâteuse, il bégayait et son accent ressortait un peu plus.

Anxieux, il se triturait les mains derrière le dos, en attendant la sentence. La surveillante était dans ses âges, et elle ne croirait certainement pas qu’avec la tête qu’il avait, Mathieu était un ange venu à la rescousse d’un ami malade. Il avait les yeux un peu gonflés, les traits fatigués, les cheveux en désordre, il devait sentir la sueur et le tabac froid, deux odeurs ramenées de la boîte sur ses vêtements.

Il releva finalement légèrement la tête, cherchant une quelconque porte de sortie dans les yeux de la jeune femme qui le tenait en respect. Il espérait de tout son cœur qu’elle serait conciliante, mais le jeune homme n’en était pas à son coup d’essai…

Pendant quelques secondes, un soupçon d’espoir revint dans l’esprit de Mathieu. Espoir rapidement détruit par la mention du secrétariat. Il ne connaissait que trop bien ce bureau étroit et peu accueillant, où il allait de temps en temps se faire passer un savon pour ses retards. Il imaginait une scène similaire aux autres, la secrétaire lui rappelant des règles qu’il connaissait désormais par cœur à force de les entendre, et lui hochant mollement la tête, ne faisant même plus mine de s’intéresser à ce discours.

Cependant, sa réponse fut interrompue par la jeune femme, qui leva le bras :

« Ou alors tu veux me dire la vérité avec une boisson chaude dans les mains, dans mon appartement ? »

Le garçon cligna plusieurs fois des yeux, surpris. Toujours engourdi par la fatigue, il voyait quelque chose de très tendancieux dans cette phrase. Après tout, elle devait être à peine plus vieille que lui, alors…

Mais rapidement, son esprit cartésien reprit les commandes, et aperçut une porte de sortie. Après tout, cela paraissait moins austère que le monologue de la secrétaire. Et puis, s’il parvenait à s’en tirer sans sanction, il serait aux anges. Mais pour le moment, rien n’était moins sûr, et il leva un regard las à la surveillante :

« La deuxième option… J’vais te di… Erm… Je vais vous expliquer pourquoi je suis un peu en retard. Mais s’il vous plaît, ne dites rien à la secrétaire, elle va m’arracher les yeux sinon... »

Il serra les dents devant cet aveux d’impuissance. Il se sentait dominé, alors même que la femme en face de lui n’était pas très imposante, et ce sentiment d’être pris la main dans le sac lui était désagréable, lui qui tentait toujours de se faufiler sans se faire attraper. Puis, il la suivit jusqu’à son logement de fonction.

En chemin, Mathieu se sentit comme un condamné à mort marchant vers l’échafaud. Il avait une certaine tendance à exagérer la situation, mais c’était tout comme. Il remercia néanmoins le ciel de n’être regardé par personne. L’école dormait encore à cette heure-là, et seuls les bruits de leurs pas dans la cour venaient troubler le chant matinal des quelques oiseaux déjà réveillés.

Mathieu suivit la surveillante à l’intérieur, et s’installa si elle le lui proposait, ou resta debout si elle ne lui indiquait rien. Dans sa situation, il avait vite compris que pour éviter une sanction trop grave, il allait devoir être très docile…

Mathieu entra silencieusement dans l’appartement, l’air soumis et la tête légèrement rentrée dans les épaules. Il se contenta de hocher la tête sans un bruit avant d’aller s’asseoir dans le canapé de la jeune femme qui l’accueillait. Lorsqu’elle s’éclipsa, il imagina un instant fuir en courant vers le dortoir, mais il écarta rapidement cette possibilité. Il ne ferait que s’attirer encore plus d’ennuis.

« Et puis t’façon j’ai pas ce foutu badge... » murmura-t-il pour lui-même.

Lorsque la jeune femme revint, Mathieu prit plus le temps de l’observer, lui qui avait surtout baissé la tête depuis qu’il s’était fait prendre. Elle paraissait assez sportive, mais définitivement pas beaucoup plus vieille que lui. Quelques années, tout au plus. Il se sentait mal à l’aise de devoir vouvoyer une personne de son âge, mais il n’allait pas faire la fine bouche.

« Bien, si tu commençais par me donner ton nom puis tu me racontais ton histoire ? »

L’adolescent observa un silence, gêné. Il grommela un « J’m’appelle Mathieu... » de sa bouche encore pâteuse, puis soupira tout en s’enfonçant un peu plus profondément dans le sofa. Il préférait cette situation à la confrontation avec la secrétaire, mais ses paupières papillonnaient de fatigue. Il ne voyait pas en quoi son histoire l’intéressait, après tout. Une heure de colle, et ça aurait été plié. Néanmoins, il se résolut à livrer quelques explications :

« Disons que… J’ai eu des emmerdes. Euh pardon, des soucis. J’étais parti boire un verre, mais j’ai rencontré des gens qui m’ont amené en boîte. Là bas… »

Mathieu réfléchit à un possible mensonge afin de se faire passer pour une victime, mais son cerveau fonctionnait au ralentit. Il secoua doucement la tête, puis continua :

« Là bas j’ai un peu forcé sur les consommations, et bah… Enfin je te fais pas… Je ne vous fais pas de dessin, Madame. J’étais un peu ivre, et j’ai dépensé tout mon argent, donc j’avais plus de quoi payer le métro et j’ai dû rentrer à pied… D’où mon... léger retard... »

Il offrit alors à son interlocutrice un regard tristounet, involontaire mais qui exprimait son air penaud. Il se demandait si ces informations allaient suffire à la jeune femme. De toute évidence, elle l’avait amené ici pour l’interroger, mais il n’avait aucune idée de jusqu’où elle souhaitait pousser ses questions. Peut-être cela l’amusait-elle, peut-être qu’elle tentait sincèrement de comprendre. A vrai dire, Mathieu n’avait pas la tête à déchiffrer les intentions de qui que ce soit en ce moment.

Il attrapa la tasse qu’elle lui tendait, et souffla doucement sur son thé avant d’en avaler quelques gorgées. Il sentit la chaleur agréable de la boisson descendre dans son corps, et lui redonner un peu de tonus. Il lâcha instinctivement un « Aaaah » de satisfaction en reposant sa tasse sur la table, puis se rattrapa, gêné :

« J’veux dire, ça fait du bien de boire autre chose que les cocktails hors de prix des boîtes. Et puis, dans mon état, ça peut pas faire de mal... »

Cette petite touche d’autodérision était autant adressée à la femme en face de lui, afin de détendre l’atmosphère, qu’à lui-même, comme pour se sermonner. Il était vrai que son estomac semblait reconnaissant d’avoir autre chose que de la vodka à digérer, lui qui n’avait pas englouti une goutte d’eau depuis le dîner de la veille.

Mathieu attendit alors une réaction ou une réponse, ne sachant pas trop quoi faire ni quoi dire de plus dans cette situation.

Mathieu baissa les yeux et fit la moue lorsque la surveillante lui répondit. On aurait dit un enfant en train de se faire sermonner par sa mère. Et, en l’état, la comparaison semblait relativement pertinente. Il l’écouta sans un bruit, sachant pertinemment qu’elle avait raison. Il savait bien que l’alcool ne lui apportait rien de bon, on le lui avait assez rabâché depuis le collège. Mais au fond, il souhaitait juste se faire quelques amis, et puisqu’il n’en trouvait pas forcément à Indarë, il étendait son cercle de recherche.

Néanmoins, il ne se voyait pas faire du sport. Lui, chétif, croisait parfois des armoires à glace dans la rue, et il ne s’imaginait pas avec leur carrure. Bien sûr, elle évoquait sûrement quelque chose de moins engageant physiquement, comme le jogging, ou ce genre de choses. Mais sa fainéantise, ainsi que l’appréhension du regard des autres l’empêchaient de s’y mettre sérieusement. Et puis, avec son régime alimentaire, il savait que les efforts physiques pouvaient rapidement lui faire tourner la tête.

Il continua de regarder le bout de ses chaussures en écoutant la proposition de la jeune femme. Il ne se voyait pas aller voir un psy, même s’il savait que l’école en était remplie. Il savait que la timidité venait de lui, et de lui seule. Il en venait presque à regretter le temps où il s’était forgé un masque d’adolescent populaire et sûr de lui. Il grogna faiblement et secoua la tête pour chasser cette pensée. Enfin, il releva la tête :

« C’est gentil Madame, mais ça va aller, enfin je crois. C’est juste que… »

Il porta la tasse à ses lèvres, ne sachant pas comment tourner sa phrase. La chaleur et la douceur de la boisson lui engourdissaient l’esprit. Il se sentait bien, finalement, dans ce canapé qui lui rappelait son matelas. Il enfonça un peu plus ses fesses dans le moelleux du sofa, puis continua :

« Je… J’essaie de trouver des amis en ville. Vous savez, il y a eu pas mal de départs cette année, et j’ai perdu tous les miens, du jour au lendemain… Alors j’essaie de me refaire des contacts, surtout que je suis pas d’ici à la base... »

Il enchaîna une autre gorgée, mais toussa en avalant de travers. Il s’essuya la bouche en posant sa tasse, puis tenta de reprendre une contenance plus sérieuse :

« Enfin, vous savez, il y a plein d’élèves de mon âge ici mais… J’sais pas, je me sens pas à l’aise avec les IRS… Et dans l’ISS, j’ai pas l’impression d’être pote avec qui que ce soit… Alors je vais voir ailleurs, là où les jeunes se rencontrent, enfin, j’imagine que vous savez de quoi je parle. »

Il regarda la surveillante avec un petit sourire, comme pour lui notifier qu’elle savait tout désormais. Mathieu pensait qu’il aurait eu plus de mal à exprimer ce qu’il ressentait. Mais il se rendait maintenant compte qu’il lui manquait juste quelqu’un à qui le dire. Il se sentait tout de même soulagé, même s’il n’était pas tiré d’affaire.

Le lycéen se laissa alors tomber contre le dossier du canapé, en soupirant. Il se frotta la nuque et s’étira le cou, tout en clignant les yeux pour tenter d’éloigner la fatigue. Le regard vaguement perdu au niveau du plafond de la pièce, il lâcha finalement :

« Et maintenant, vous comptez faire quoi de moi ? »

Mathieu attendit une réponse avec appréhension. La femme en face de lui paraissait ouverte d'esprit et sympathique, mais elle avait aussi théoriquement une certaine autorité sur lui. Et il ne savait pas ce qu'elle avait prévu pour lui ensuite.

La surveillante était restée silencieuse pendant ses aveux, et Mathieu redoutait maintenant la sanction. Il l’avait trouvée étrangement calme pour quelqu’un qui vient de surprendre un garnement en flagrant délit. Mathieu se dit que sa séance de sport avait peut-être dû la fatiguer, qui sait… Mais la jeune femme répondit rapidement, comme si elle avait déjà pris sa décision depuis longtemps :

« Et bien, te sermonner un peu, d'abord. Je sais que je ne suis pas ta grande sœur, même si j'aurais l'âge pour, mais je ne pense pas que tu te trouveras de vrais amis de cette façon. Regarde, y en a-t-il un qui t'ait ramené à l'école ? Qui t'ai permis de dormir un peu ? Qui se soit soucié que tu passes la nuit dehors en pleine semaine, à ton âge ? Non, ce ne sont pas des amis, juste des gens qui profitent de toi. »

Il eut à peine le temps le temps d’ouvrir les lèvres et de se redresser pour répliquer quelque chose, mais il fut pris de vitesse :

« Mais je... »

« Quant à te faire des amis, je comprend que c'est difficile surtout si tu n’es pas anglais. J'ai connu cela moi aussi. Je ne peux que te conseiller de passer un peu plus de temps avec tes camarades de classe et d'essayer de manger avec eux. Ce serait les premiers pas pour mieux t'entendre. »

Par réflexe, Mathieu roula des yeux. Comme s’il n’avait pas déjà essayé de le faire, tiens. Mais entre les tueurs, les fous, et les personnes normales qui le lâchaient du jour au lendemain, il s’était fait une raison sur ses camarades d’Indarë. Les jeunes londoniens, au moins, lui souriaient sans avoir des pulsions malsaines comme certains élèves d’ici. D’autres s’adressaient à lui poliment dans la rue, pas comme ses camarades qui s’ignoraient mutuellement, et qui passaient leurs journées à réviser dans leurs chambres. Manger avec eux… Il ne mangeait pas la même chose qu’eux, et il savait qu’il allait se ridiculiser, ou du moins recevoir des regards gênés, voire méfiants. Être végan dans un pays occidental habitué à la viande, c’était toujours mal vu. D’autant plus qu’il était certainement le seul comme cela dans l’école.

D’un coup, la surveillante attentive et bienveillante usait de son autorité. Chose que Mathieu n’appréciait pas, mais il se garda bien de le montrer. Il était en position de faiblesse, et moins il en montrerait, plus vite il irait rattraper sa nuit. Il serra un peu les dents, comme pour retenir sa mâchoire de lui rétorquer que s’il en était réduit à arpenter les nuits londoniennes, c’est qu’il avait tout essayé auparavant pour se faire accepter des autres. Puis il poussa un ouf de soulagement et s’enfonça à nouveau dans le canapé de l’appartement lorsqu’il entendit :

« Quant à avoir fait le mur cette nuit... pour cette fois, je ne dirais rien. En retour, je compte sur toi pour ne jamais recommencer. D'accord ? »

Le « jamais » sonnait plus comme une menace que comme une interdiction. Elle se doutait sûrement qu’il allait recommencer. Ou pas d’ailleurs, même lui ne le savait pas. Cette rencontre inopinée lui faisait tout de même l’effet d’une douche froide. Mais s’il refaisait le mur, il ferait plus attention. Il essaierait, dans tous les cas.

Il appréciait cependant son geste, de le laisser s’en tirer sans même un blâme. Même ses propres parents n’en sauraient rien, ce qui lui évitait aussi une bonne heure au téléphone avec sa mère en train de le houspiller. Au fond, elle l’avait dit elle même, elle le comprenait en partie, et il mettait cela sur le compte de leur faible différence d’âge. Du fait qu’ils ne soient pas anglais non plus d’ailleurs, puisqu’il lui avait semblé détecter un accent hispanisant dans ses réprimandes.

Il posa ses yeux fatigués et très légèrement cernés sur ceux de son interlocutrice, et, après avoir déglutit, décida de jouer la carte de la franchise jusqu’au bout :

« Je vous remercie, vraiment, c’est pas tous les surveillants qui feraient ça… Et, merci pour votre accueil aussi. Pour être totalement honnête avec vous, je préfère ne pas vous promettre que je ne ferais plus le mur. Je peux vous promettre que je ferais des efforts, cependant. J’reviendrais plus à des heures aussi tardives, et d’ailleurs c’était même pas ce que je voulais à la base… »

Mathieu se gratta la tête, cherchant comment lui assurer sa sincérité. Puis, il repensa à ses camarades qui étaient cloîtrés dans leurs chambres, et un sourire éclaira légèrement son visage :

« Je sais ! Je peux vous promettre de réviser plus, et d’avoir mon examen de fin d’année… Avec mention ! (Il réfléchit quelques secondes, puis reprit) Enfin, pas la meilleure mention hein, mais au moins en avoir une... »

Mathieu haussa un sourcil lorsque la surveillante vint lui prendre la main. Aussi anodin que ce geste puisse paraître, les hormones remuantes du jeune homme se mirent à faire des leurs. Il pensa qu’il était dans son appartement, dans son canapé, qu’elle avait pris sa main… Mais il revint à la réalité lorsqu’il l’entendit déclarer :

« Si tu veux mais cela, je ne pourrais que compter sur toi et ne pourrais veiller à ce que tu le fasses. »

Son ton se voulait doux, mais Mathieu ressentit tout de même l’autorité que la jeune femme dégageait. Il secoua légèrement la tête, et ressentit les premiers signes d’une petite migraine d’après soirée. Au moins, cela lui faisait reprendre place dans la vraie vie. Il se redressa dans le sofa pour prendre un air un peu plus présentable, puis écouta, l’œil vif et l’oreille attentive, la voix de Tsume :

« Si tu veux, tu peux aller à l'infirmerie, après avoir manger, pour t'y reposer un peu. Tu diras que c'est moi qui t'envoi, te pensant un peu mal. Bien, je te garde vingt minutes encore et tu pourras y aller, cela te va Mathieu ? »

Elle s’était levée et lui faisait face, même si elle n’était pas très grande. Mathieu savait désormais qu’il ne risquait pas de sanction dans l’immédiat, mais l’idée de pouvoir dormir dans un lit douillet et de remplir son estomac avec quelque chose de solide lui aurait presque arraché une larme. Il afficha un sourire d’allégresse sincère lorsque des pains au chocolat et autres viennoiseries se mirent à danser dans ses yeux, le faisant saliver. Même s’il ne devait pas en manger, il se dit qu’il pouvait bien faire une entorse à son régime alimentaire pour cette fois. Il compenserait un autre jour.

Il se leva ensuite pour remercier sa bienfaitrice. Il s’étira, provoqua quelques craquements au niveau de ses articulations, et baissa la tête pour la regarder. Il ne savait pas trop s’il devait lui serrer la main, ou simplement lui hocher la tête en signe d’approbation. Il préféra la seconde option :

« C’est super M’dame, vraiment merci… Je vais aller finir ma nuit là-bas, ou plutôt la commencer. Je pense qu’il me faudrait un mot d’excuse pour les cours de ce matin, par contre… »

Il marqua une pause, regardant un peu gêné les pupilles de la surveillante. Elle pouvait aisément deviner où il voulait en venir, le suspens était plutôt mince. Après l’avoir gratifiée de son plus beau regard de chien battu, il continua :

« Est-ce que ça serait abuser de votre gentillesse si j’vous demandais de m’en faire un… ? Parce que déjà que le prof de maths m’aime pas, si en plus je sèche son cours sans raison, il va me décapiter sur place... »

Il jouait en même temps avec ses doigts, tel un enfant pris la main dans le sac, mais qui demande réclame encore quelque chose de plus. Mathieu voyait néanmoins sa (trop) longue soirée toucher à sa fin, et cela se terminait de façon moins catastrophique que prévu. Il rêvait déjà éveillé de la sensation de l’oreiller contre sa joue, du filet de bave coulant de sa bouche, et des bras de Morphée l’étreignant pour l’emmener dans un sommeil profond.