[2019 - Bureaux des psys] Consultation #1 - Présentation

E
n ce mercredi après-midi, le cœur de Charlie n’était pas à la joie. La jeune fille avait redouté ce moment précis de la journée, telle une ombre nuageuse sur le soleil éternel de sa bonne humeur. Lorsqu’elle franchi l’entrée de l’établissement sur l’étage du rez-de-chaussée, une irrépressible envie de faire demi-tour l’a pris. Pourquoi devait-elle obligatoirement s’y rendre ? Elle allait très bien ! Faisant une moue boudeuse, la jeune fille marcha d’un pas traînant en direction du couloir Est, l’aile du cabinet des psychologues.

Sortant le petit bout de papier sur lequel était écrit le nom du professionnel, elle chercha des yeux un écriteau ou une affiche indiquant la quelconque direction à prendre. L’école était plutôt grande lorsqu’on ne savait pas où chercher. Finalement, Charlie trouva la réponse : bureau 019. Prenant une grande respiration, pour se donner du courage mais aussi la motivation à continuer vers le lieu de son rendez-vous. Dire qu’elle allait devoir faire ça deux fois par semaine pour le reste de son parcours scolaire ! Peut-être même pour toute sa vie !

Une irrésistible envie de s’asseoir sur le sol et pleurer toute les larmes de son corps devant une telle injustice la saisie. S’arrêtant, elle regarda derrière son épaule, voyant déjà la possibilité de fuir et de feindre d’avoir encore oublié cette rencontre. Les fois précédentes, Charlie avait pu jouer cette carte puisqu’elle était nouvelle dans ce pays. Fraîchement débarqué des États-Unis, encore un peu confuse de la conduite à gauche, du fuseau horaire et de l’accent des gens d’ici. Maintenant par contre, il était beaucoup moins crédible de faire ce petit numéro. Jouant nerveusement avec les pans de sa jupe d’uniforme entre ses doigts, elle continua jusqu’à sa destination.

La porte n’étant pas fermé, la jeune fille n’avait qu’à pousser le panneau de bois pour pénétrer à l’intérieur. Charlie pouvait entrevoir la lumière qui émanait de la pièce et les ombres bouger possiblement en raison de la présence d’une personne. Ne pouvant retarder plus longuement le moment fatidique, elle tendit timidement la main vers la poignée et entra.  

L
’incertitude se dessinait sur les traits du visage de la jeune fille lorsqu’elle vit le psychologue s’avancer vers elle une fois la porte ouverte. Il semblait souriant et détendu, et pour être honnête il était plutôt bel homme. Bon certes, pas autant que l’était son frère a ses yeux, mais tout de même Charlie s’était imaginé un vieil homme un peu zinzin qui lui aurait imposé un accueil autoritaire. Il faut dire qu’elle ne manquait pas d’imagination… Souriant en retour, elle se détendit quelque peu et répondit :

▬ Bonjour M. Stevens.

Alors qu’il l’invite à prendre place dans la pièce, elle observait la décoration. Avec surprise et joie, elle s’installa sur le sofa parmi les coussins. Caressant distraitement de la main le tissu doux, Charlie attendit qu’il reprenne la parole en laissant son regard errer. Ne sachant comment se comporter ou quoi dire, elle gardait le silence. Une première lorsqu’on la connaissait. Pourtant en de rare occasion, il lui arrivait de cesser son bavardage habituel. Lorsque l’homme reprend la parole, la jeune fille reporte son attention sur lui.

▬ Ça me va très bien, je préfère ça comme ça pour être honnête.

Peu à peu la nervosité céda la place à la curiosité, comme chaque fois qu’une situation nouvelle se présentait à elle. Charlie n’avait jamais rencontré de psychologue de toute sa vie, même pas après le départ de son père ou l’incident sur la plage avec son frère. Elle ignorait totalement ce que ce genre de profession impliquait et malgré sa méfiance ne pouvait s’empêcher de vouloir en savoir d’avantage.

▬ Alors, je dois simplement parler ? C’est tout ? C’est ce que font les gens lorsqu’ils viennent ici ?

C
harlie écouta attentivement les propos du psychologue alors qu’il lui répondit calmement et avec le sourire. Plusieurs questions s’agitèrent dans son esprit, comme un million de petite ampoule dont l’interrupteur aurait basculé en mode automatique. Un confident ? La jeune fille ne s’était jamais confiée à personne, excepté à son frère. Il était le seul à tout savoir de ses états d’âme et était particulièrement doué dans la lecture de ses émotions. Souvent, un seul regard échangé suffisait à remplacer un paragraphe entier de mot vide de sens. Elle ne croyait pas être en mesure de retrouver ce genre de relation avec quiconque sur Terre. Les liens qui les unissaient elle et son frère était plus fort que tout à ses yeux. En cela, elle ne voyait pas où était le mal et ce qu’elle faisait qui dérangeait tant les autres. Ainsi elle se disait à chaque matin à son réveil : l’amour, l’amour vrai, était plus puissant que n’importe quoi d’autre. Plus puissant que les règles et les lois. Plus puissant que n’importe quelle armée ou gouvernement. Certaines personnes sont tout simplement faites l’une pour l’autre. Parmi elles, il y en a qui ne se quittent jamais après s’être rencontrées ; d’autres se retrouvent séparées par les circonstances de la vie, mais finissent malgré le temps et les obstacles à se retrouver, comme si elles étaient reliées par un lien invisible. C’était sur cela qu’elle trouvait la force de se lever pour affronter une journée de plus. Seule. Sans son frère.

Elle croyait fermement au prince charmant et aux histoires qui finissent bien. Telle la princesse prisonnière du haut de sa tour ou enfermée dans un donjon et gardé par un dragon, il se peut que des années se soient écoulées, mais l’amour et l’attachement de l’un pour l’autre ne s’est jamais estompé et est resté tellement fort qu’il semblerait qu’il ne se soit écoulé depuis leur séparation, que très peu de temps. Charlie pensait à toutes ces choses lorsque le psychologue lui a demandé si elle comprenait.

▬ Oui, je comprends.

D’une petite voix, elle lui répond. Incertaine de ce qu’elle était censé comprendre au juste, mais pas automatisme elle avait affirmé que c’était le cas. Par peur d’avoir des ennuis si elle ne coopère pas ? Probablement… Affichant un sourire timide, bien piètre façade de sa tempête d’émotions intérieur, elle reprend :

▬ De quoi allons-nous discuter?