[2019] Yuri Walker : Premier RDV

Jeudi. Ce n’était pas vraiment la pire journée de ma semaine. Certes, la matinée ne connaissait aucun trou, mais cela signifiait que je pouvais penser à autre chose que tout ce qui pouvait me tourmenter. Au contraire, j’avais normalement le temps de manger… et de penser. Quoiqu'il arrivait souvent qu’on nous donne des devoirs pour le cours prochain alors je pouvais m'avancer durant ce temps jusqu’à ce qu'arrive la cuisine. Cette option était la dernière activité obligatoire avant que n'arrive le vendredi. En soit, ce n’était pas bien méchant, même si j’avais parfois du mal en cours. Néanmoins, contrairement à d’autres, je devais sans doute relativiser assez facilement étant donné que tout était mieux que mon ancienne vie. Très sincèrement, si on avait décidé de m’envoyer en prison je l'aurais accepté sans faire d’histoire. J’étais coupable de tant d'horreur que même en étant également une victime je ne me sentais pas en droit de me plaindre. La mère d’Ellia avait beau penser que j’avais assez cher payé pour mes crimes, justement à travers mes souffrances, il n’en restait pas moins que des personnes avaient dû abandonner leur bonheur par ma faute. Qu’elle soit directe ou indirecte. Mais je ne pouvais pas librement parler de tout cela alors même que je voyais des psy. D’ailleurs, j’avais rendez-vous juste après manger, cette semaine. Je ne savais pas s’il en serait toujours ainsi, mais il s’agissait d’une obligation pour moi d’y aller. Autant le faire puisque cela allait peut-être m’amener à faire disparaître ce double violent.

Après avoir passé une matinée totalement complète, j’étais donc allé manger. Je m’étais installé seul à une table libre. Je n’avais personne à qui parler vraiment à part Nick et Ellia à qui je voulais laisser un peu de vie, et je ne savais pas comment me lier aux autres. Les jumeaux étaient naturellement venus vers moi et étaient restés même après que je les ai maintes fois repoussés. Evidemment, les circonstances ayant été un peu spéciales, il n’en était pas de même depuis que j’étais à l’école. Une nouvelle vie… Je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait vraiment de ça. Enfin, je n’étais plus dans la même situation et mon identité se trouvait différente, mais cela ne changeait rien aux souvenirs que je traînais avec moi. Cela n’enlevait rien au sang que j’avais sur les mains. Tout cela m’empêchait encore de manger régulièrement de façon correcte. Et ce jour-ci fut un de ceux pendant lequel je ne pus terminer mon assiette.

Ainsi, attendre jusque 13h35 me parut long, sans personne à qui parler. Je n’avais pas non plus d'exercice à faire, tout comme mes leçons n’étaient pas franchement ce qui me permettait de ne pas penser. En gros, je m’ennuyai comme un rat mort en regardant le ciel en attendant que l'heure arrive. Ce n’est que là que j’allai devant le bureau du psy, habillé de mon uniforme. Je pouvais paraître blasé, mais en réalité j’étais grandement angoissé. Je ne savais pas ce qu’on allait me dire, comment la séance allait se passer. Mais, surtout, il ne fallait pas que je laisse échapper le moindre petit indice sur les circonstances de mes cicatrices et les raisons pour lesquelles j’avais une double personnalité. Cela ne serait pas pour m’aider. Mais, d’un autre côté, je ne savais pas si je serais capable de résister face à une grande insistance. C’est donc avec une terrible appréhension que je frappai à la porte. Ce n’est que lorsqu'on m’y invita que j’entrai en refermant la porte derrière moi par politesse. Puis, sans bouger, je me mis à regarder mon environnement tout en restant attentif aux demandes qu’on pourrait me faire.

Devant moi, le bureau derrière lequel était assis le psy et une chaise. Mais il n’y avait pas que ça comme assises : un canapé se trouvait contre le mur, par exemple. Sinon, des étagères décorées de bibelots et des affiches donnaient un air rempli à cette salle dans laquelle on pouvait encore respirer. Alors pourquoi me sentais-je aussi sur le qui-vive ? À cause de mes propres peurs ? Une peur qui se trouva augmentée lorsque j’aperçu le livre sur le bureau. J’en avais entendu un résumé et cela me donna l’impression qu’il pourrait lire en moi comme un livre ouvert, puisque j’étais un tueur. J’espérais grandement me tromper alors que je ne savais clairement pas quoi dire, perdant ma politesse et que je devais me détendre un minimum.